¶Comment le Moyne amena les pelerins et les bonnes paroles que leur dist Grandgouzier. Chap. xliii.

Ceste escarmouche parachevee se retyra Gargantua avecques ses gens excepte le Moyne. et sus la poincte du jour se rendirent a Grandgouzier, lequel en son lict prioyt dieu pour leur salut et victoyre. Et les voyant tous saufz et entiers les embrassa de bon amour, et demanda nouvelles du moyne. Mais Gargantua luy respondit que sans doubte leurs ennemys avoient le moyne. Ilz auront (dist Grandgouzier) doncques male encontre. Ce que avoyt este bien vray. Pourtant encores est le proverbe

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en usaige, de bailler le Moyne a quelq ’un. Adoncques commenda qu’on aprestast tresbien a desjeuner, pour les refraischir. Le tout apreste l’on appella Gargantua mais tant luy grevoit de ce que le moyne ne comparoit aulcunement, qu’il ne vouloit ny boyre/ ny manger. Tout soubdain le Moyne arrive, et des la porte de la basse court, s’escria, vin frays/ vin frays, Gymnaste mon amy. Gymnaste sortit, et veit que c’estoit frere Jean qui amenoit cinq pelerins/ et Toucquedillon prisonnier, dont Gargantua sortit au davant et luy feirent le meilleur recueil que peurent/ et le menerent davant Grandgouzier, lequel l’interrogea de toute son adventure. Le moyne luy disoit tout: et comment on l’avoit prins, et comment il s’estoit deffaict des archiers, et la boucherie qu’il avoit faict par le chemin, et comment il avoit secous les pelerins, et amene le capitaine Toucquedillon. Puis se mirent a bancqueter joyeusement tous ensemble. Ce pendent Grandgouzier interrogeoit les pelerins, de quel pays ilz estoient/ et dont ilz venoient/ et ou ilz alloient. Lasdaller pour tous respondit. Seigneur je suys de sainct Genou en Berry / cestuy cy est de Paluau / cestuy cy est de Onzay / cestuy cy est de Aroy / et cestuy cy est de Villebrenin. Nous venons de sainct Sebastian pres de Nantes / et nous en retournons par noz petites
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journees. Voyre mais (dist Grandgouzier) qu’alliez vous faire a sainct Sebastian ? Nous allions (dist Lasdaller) luy offrir noz votes contre la peste. O (dist Grandgouzier) pauvres gens, estimez vous que la peste viengne de sainct Sebastian ? Ouy vrayement (respondit Lasdaller) noz prescheurs nous l’afferment O (dist Grandgouzier) les faulx prophetes vous annoncent ilz telz abuz. Blasphement ilz en ceste faczon les justes et sainctz de dieu, qu’ilz les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains. Comme Homere escript que la peste fut mise en l’oust des Gregoys par Apollo. et comme les Poetes faignent un grand tas de Vejoves et dieux malfaisans. Ainsi preschoit a Sinays un Caphart, que sainct Antoine mettoit le feu es jambes, et sainct Eutrope, faisoit les hydropicques/ et saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes. Mais je le punyz en tel exemple quoy qu’il me appellast Hereticque, que depuys ce temps Caphart quiconques n’est ouze entrer en mes terres. Et m’esbays si vostre roy les laisse prescher par son royaulme telz scandales. Car plus sont a punir, que ceulx qui par art magicque ou aultre engin auroient mys la peste par le pays. La peste ne tue que le corps mais ces predications diabolicques infectionnent les ames des pauvres
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et simples gens. Luy disant ces paroles entra le Moyne tout delibere, et leurs demanda. Dont estez vous, vous aultres pauvres hayres? De sainct Genou, dirent ilz. Et comment (dist le Moyne) se porte l’abbe Tranchelyon, le bon beuveur. Et les moynes, quelle chiere font ilz? Le cor dieu ilz biscotent voz femmes ce pendent que estes en romivage. Hin hen (dist Lasdaller) je n’ay pas peur de la mienne. Car qui la verra de jour, ne se rompera pas le coul pour l’aller visiter la nuyct. C’est (dist le moyne) bien rentre de picques. Elle pourroit estre aussi layde que Proserpine, elle aura par dieu la saccade puys qu’il y a moynes autour. Car un bon oeuvrier mect indifferentement toutes pieces en oeuvre. Que j’aye la verolle/ en cas que ne les trouviez engroissees a vostre retour. Car seulement l’ombre du clochier d’une abbaye est feconde. C’est (dist Gargantua) comme l’eau du Nile en Egypte, si vous croyez Strabo / et Pline lib. vii. chap. iii. advise que c’est de la miche/ des habitz/ et des corps. Lors (dist Grandgouzier. ) Allez vous en pauvres gens au nom de dieu le createur, lequel vous soyt en guide perpetuelle. Et dorenavant ne soyez faciles a ces otieux et inutiles voyages. Entretenez vos familles/ travaillez chascun en sa vacation/ instruez vos enfans/ et vivez comme vous enseigne
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le bon Apostre sainct Paoul. Ce faisans vous aurez la guarde de dieu / des anges/ et des saincts avecques vous, et n’y aura peste ny mal qui vous porte nuysance. Puys les mena Gargantua prendre leur refection en la salle: mais les pelerins ne faisoient que souspirer/ et dirent a Gargantua. O que heureux est le pays qui a pour seigneur ung tel homme. Nous sommes plus edifiez et instruictz en ces propous qu’il nous a tenu, qu’en tous les sermons que jamais nous feurent preschez en nostre ville. C’est (dist Gargantua) ce que dist Platon lib. v. de rep. que lors les republicques seroient heureuses, quand les roys philosopheroient, ou les philosophes regneroient. Puis leur feist emplir leurs bezaces de livres/ et leurs bouteilles de vin, et a chascun donna cheval pour soy soulaiger au reste du chemin, et quelques carolus pour vivre.

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