¶Comment le Moyne se deffist de ses gardes/ et comment l’escharmousche de Picrochole feut deffaicte. Chap. xlij.

Le Moyne les voyant ainsy departir en desordre, conjectura qu’ilz alloient charger sus Gargantua et ses gens, et se contristoit merveilleusement de ce qu’il ne les povoit secourir. Puis advisa la contenance de ses deux archiers de guarde, lesquelz eussent voulentiers couru apres la troupe pour y butiner quelque chose et tousjours regardoient vers la vallee en laquelle ilz descendoient. D’adventaige syllogisoit disant, ces gens icy sont bien mal exercez en faictz d’armes. Car oncques ne me ont demande ma foy, et ne me ont ouste mon braquemart. Soubdain apres tyra son dict braquemart, et en ferut l’archier qui le tenoit a dextre luy coupant entierement les venes jugulares / et arteres sphagitides du col avecques le guargareon, jusques es deux adenes: et retirant le coup luy entreouvrit le mouelle spinale entre la seconde et tierce vertebre, la tomba l’archier tout mort. Et le moyne detournant son cheval a guauche courut sus l’aultre, lequel

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voyant son compaignon mort, et le moyne adventaige sus soy, cryoit a haulte voix. Ha monsieur le priour je me rendz, monsieur le priour mon bon amy monsieur le priour. Et le Moyne cryoit de mesmes. Monsieur le posteriour mon amy, monsieur le posteriour, vous aurez suz vos posteres. Ha (disoit l’archier) monsieur le priour, mon mignon, monsieur le priour, que dieu vous face abbe. Par l’habit (disoit le Moyne) que je porte je vous feray icy cardinal, Rensonnez vous les gens de religion? Vous aurez un chapeau rouge a ceste heure de ma main. Et l’archier cryoit, Monsieur le priour/ monsieur le priour/ monsieur l’abbe futeur / monsieur le cardinal/ monsieur le tout. Ha ha hes non. Monsieur le priour/ mon bon petit seigneur le priour je me rends a vous. Et je te rends (dist le Moyne) a tous les diables. Lors d’un coup luy transchit la teste, luy coupant le test sus les os petreux et enlevant les deux os bregmatis et la commissure sagittale, avecques grande partie de l’os coronal, ce que faisant luy tranchit les deux meninges et ouvrit profondement les deux posterieurs ventricules du cerveau: et demoura le craine pendent sus les espaules a la peau du pericrane par darriere, en forme d’un bonnet doctoral, noir par dessus, rouge par dedans. Ainsi tomba, roidde mort en terre.
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Ce faict, le Moyne donne des esprons a son cheval et poursuyt la voye que tenoient les ennemys, lesquelz avoient rencontrez Gargantua et ses compaignons au grand chemin. et tant estoient diminuez en nombre pour l’enorme meurtre que y avoit faict Gargantua avecques son grand arbre, Gymnaste / Ponocrates / Eudemon / et les aultres, qu’ilz commencoient soy retirer a diligence/ tous effrayez et parturbez de sens et entendement, comme s’ilz veissent la propre espece et forme de mort davant leurs yeulx. Et comme vous voyez un asne quand il a au cul un oestre junonicque, ou une mousche qui le poinct, courir cza et la, sans voye ny chemin et gettant sa charge par terre, rompant son frain et renes, sans aulcunement respirer ny prandre repous, et ne scayt on qui le meut, car l’on ne veoit rien qui le touche. Ainsi fuyoient ces gens de sens deprouveuz, sans scavoir cause de fuyr. tant seulement les poursuyt une terreur Panice laquelle avoient conceue en leurs ames. Voyant le moyne que toute leur pensee n’estoit si non a guaigner au pied, descend de son cheval, et monte sus une grosse roche qui estoit sus le chemin, et avecques son grand bracquemart, frapoit sus ces fuyars a grand tour de braz sans se faindre ny espargner. Tant en tua et mist par terre, que son braquemart rompit en deux
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pieces. Adoncques pensa en soy mesme que c’estoit assez massacre et tue, et que le reste doibvoit eschapper pour en porter les nouvelles. Pourtant saisit en son poing une hasche de ceulx qui la gisoient mors, et se retourna de rechief sus la roche, passant temps a veoir fuyr les ennemys / et cullebuter entre les corps mors, excepte que a tous faisoit laisser leurs picques/ espees/ lances et hacquebutes, et ceulx qui portoient les pelerins liez, il les mettoit a pied et delivroit leurs chevaulx au dictz pelerins, les retenant avecques soy l’oree de la haye. Et Tourquedillon, lequel il retint prisonnier.

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