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Comment Panurge racompte la maniere comment il eschappa de la main des Turcqs. Chapitre. xiiij.

Le jugement de Pantagruel feut incontinent sceu et entendu de tout le monde, et imprimé a force, et redigé es Archives du Palays, en sorte que le monde commenca a dire. Salomon qui rendit par soubson l'enfant a sa mere, jamais ne monstra tel chief d'oeuvre de prudence comme a faict le bon Pantagruel : nous sommes heureux de l'avoir en notre pays. Et de faict on le voulut

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faire maistre des requestes, et president en la court: mais il refusa tout, les remerciant gracieusement, car il y a (dist il) trop grande servitude a ces offices, et a trop grande poine peuvent estre saulvez ceulx qui les exercent, veu la corruption des hommes. Et croy que si les sieges vuides des anges ne sont rempliz d'aultre sorte de gens, que de trente sept Jubilez nous n'aurons le jugement final et sera Cusanus trompé en ses conjectures. Je vous en advertis de bonne heure. Mais si avez quelque muitz de bon vin, voluntiers j'en recepvray le present.

Ce que ilz firent voluntiers et luy envoyerent du meilleur de la ville, et beut assez bien, Mais le pauvre Panurge en beut vaillamment, car il estoit eximé comme un haran soret. Aussi alloit il du pied comme un chat maigre. Et quelcun l'admonesta a demye alaine d'un grand hanat plein de vin vermeil, disant. Compere tout beau, vous faictes rage de humer. Je doncq au diesble (dist il) tu

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n'as pas trouvé tes petitz beuvreaux de Paris qui ne beuvent en plus q'un pinson, et ne prenent leur bechee sinon qu'on leurs tape la queue a la mode des passereaux. O compaing si je montasse aussi bien comme je avalle, je feusse desja au dessus la sphere de la lune, avecques Empedocles. Mais je ne scay que diable cecy veult dire, ce vin est fort bon et bien delicieux, mais plus j'en boy plus j'ay de soif. Je croy que l'ombre de monseigneur Pantagruel engendre les alterez, comme la lune faict les catharres. Auquel commencerent rire les assistans.

Ce que voyant Pantagruel dist. Panurge qu'est ce que avez a rire? Seigneur, (dist il) Je leur contoys, comment ces diables de Turcqs sont bien malheureux de ne boire goutte de vin. Si aultre mal n'estoit en Lalchoran de Mahumeth, encores ne me mettroys je mie de sa loy.Mais or me dictes comment (dist Pantagruel) vous eschappastes leurs mains? Par dieu seigneur, dist

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Panurge, je ne vous en mentiray de mot.Les paillards Turcqs m'avoient mys en broche tout lardé, comme un connil, car j'estois tant exime que aultrement de ma chair eust este fort maulvaise viande, et en ce poinct me faisoyent roustir tout vif. Ainsi comme ilz me routissoyent, je me recommandoys a la grace divine, ayant en memoyre le bon sainct Laurent, et tousjours esperoys en Dieu, qu'il me delivreroit de ce torment, ce qui feut faict bien estrangement. Car ainsi que me recommandoys bien de bon cueur a dieu, cryant. Seigneur dieu ayde moy, Seigneur dieu saulve moy, Seigneur Dieu oste moy de ce torment, auquel ces traistres chiens me detiennent, pour la maintenance de ta loy? le routisseur s'endormit par le vouloir divin, ou bien de quelque bon Mercure qui endormit cautement Argus qui avoit cent yeulx.Quand je vys qu'il ne me tournoit plus en routissant, je le regarde, et voy qu'il s'endort, lors je prens avec
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ques les dents un tyson par le bout ou il n'estoit point bruslé, et vous le gette au gyron de mon routisseur, et un aultre je gette le mieulx que je peuz soubz un lict de camp, qui estoit aupres de la cheminee, ou estoit la paillasse de monsieur mon roustisseur.Incontinent le feu se print a la paille, et de la paille au lict, et du lict au solier qui estoit embrunche de sapin faict a quehues de lampes. Mais le bon feut, que le feu que j'avoys getté au gyron de mon paillard routisseur luy brusla tout le penil et se prenoit aux couillons, sinon qu'il n'estoit tant punays qu'il ne le sentit plus tost que le jour, et debouq estourdy se levant crya a la fenestre tant qu'il peut dal baroth, dalbaroth, qui vault autant a dire comme au feu, au feu: et vint droict a moy pour me getter du tout au feu, et desja avoit couppé les cordes dont on m'avoit lye les mains, et couppoit les lyens des piedz, mais le maistre de la maison ouyant le cry du feu, et sentent ja la fumee
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de la rue ou il se pourmenoit avecques quelques aultres Baschatz et Musaffiz, courut tant qu'il peut y donner secours et pour emporter les bagues.De pleine arrivee il tire la broche ou j'estoys embroché, et tua tout roidde mon routisseur, dont il mourut la par faulte de gouvernement ou aultrement, car il luy passa la broche peu au dessus du nombril vers le flan droict, et luy percea la tierce lobe du foye et le coup haussant luy penetra le diaphragme, et par atravers la capsule du cueur luy sortit la broche par le hault des espaules entre les spondyles et l'omoplate senestre.Vray est que en tirant la broche de mon corps je tumbe a terre pres des landiers, et me feist peu de mal la cheute toutesfoys non grand: car les lardons soustindrent le coup.Puis voyant mon Baschaz, que le cas estoit desespere, et que sa maison estoit bruslee sans remission, et tout son bien perdu: se donna a tous les diables, appellant Grilgoth, Astarost Rappallus
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et Gribouillis par neuf foys.

Quoy voyant je euz de peur pour plus de cinq solz, craignant: les diables viendront a ceste heure pour emporter ce fol icy, seroyent ilz bien gens pour m'emporter aussi? Je suis ja demy rousty, mes lardons seront cause de mon mal: car ces diables icy sont frians de lardons, comme vous avez l'autorite du philosophe Jamblicque et Murmault en l'apologie de bossutis et contrefactis pro Magistros nostros, mais je fis le signe de de la croix, criant agyos, athanatos, hotheos, et nul ne venoit,Ce que congnoissant mon villain Baschatz se vouloit tuer de ma broche, et s'en percer le cueur, de faict la mist contre sa poictrine: mais elle ne povoit oultre passer car elle n'estoit assez poinctue: et poulsoit tant qu'il povoit, mais il ne prouffitoit rien. Alors je vins a luy, disant. Missaire bougrino tu pers icy ton temps: car tu ne te tueras jamais ainsi: bien te blesseras quelque hurte, dont tu languiras

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toute ta vie entre les mains des barbiers: mais si tu veulx je te tueray icy tout franc, en sorte que tu n'en sentiras rien, et m'en croys: car j'en ay bien tué d'aultres qui s'en sont bien trouvez. Ha mon amy (dist il) je t'en prie, et ce faisant je te donne ma bougette, tiens voy la la il y a six cens seraphz dedans, et quelques dyamans et rubiz en perfection. Et ou sont ilz (dist Epistemon) Par sainct Joan, dist Panurge, ilz sont bien loing s'ilz vont tousjours, mais ou sont les neiges d'antan? c'estoit le plus grand soucy que eust Villon le poete Parisien. Acheve (dist Pantagruel) je te prie que nous saichons comment tu acoustras ton Baschatz.Foy d'homme de bien, dist Panurge, je n'en mentz de mot. Je le bande d'une meschante braye que je trouve la demy bruslee, et vous le lye rustrement piedz et mains de mes cordes, si bien qu'il n'eust sceu regimber, puis luy passay ma broche a travers la gargamelle, et le pendys acrochant la broche
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a deux gros crampons, qui soustenoient des alebardes. Et vous attise un beau feu au dessoubz et vous flamboys mon milourt comme on faict les harans soretz a la cheminee, puis prenant sa bougette et un petit javelot qui estoit sur les crampons m'en fuys le beau galot. Et dieu scait comme je sentoys mon espaule de mouton.Quand je fuz descendu en la rue, je trouvay tout le monde qui estoit acouru au feu a force d'eau pour l'estaindre. Et me voyans ainsi a demy rousty eurent pitie de moy naturellement et me getterent toute leur eau sur moy, et me refraicherent joyeusement, ce que me fist fort grand bien, puis me donnerent quelque peu a repaistre, mais je ne mangeoys gueres: car ilz ne me bailloient que de l'eau a boyre a leur mode.Aultre mal ne me firent sinon un villain petit Turq bossu par devant, qui furtivement me crocquoit mes lardons: mais je luy baillys si vert dronos sur les doigtz a tout mon javelot
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qu'il n'y retourna pas deux foys.

Et une jeune Corinthiace, qui m'avoit aporté un pot de Myrobolans embliez confictz a leur mode, laquelle regardoit mon pauvre haire esmoucheté, comment il s'estoit retiré au feu, car il ne me alloit plus que jusques sur les genoulx. Mais notez que cestuy rotissement me guerist d'une Isciaticque entierement a la quelle j'estoys subject plus de sept ans avoit du cousté au quel mon rotisseur s'endorment me laissa brusler.

Or ce pendent qu'ilz se amusoyent a moy, le feu triumphoit ne demandez comment a prendre en plus de deux mille maisons, tant que quelcun d'entre eulx l'advisa et s'escria, disant. Ventre Mahom toute la ville brusle, et nous amusons icy. Ainsi chascun s'en va a sa chascuniere. De moy je prens mon chemin vers la porte.Quand je fuz sur un petit tucquet qui est aupres, je me retourne arriere, comme la femme de Loth, et vys toute la ville bruslant, dont je fuz

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tant aise que je me cuyde conchier de joye: mais Dieu m'en punit bien. Comment? (dist Pantagruel).Ainsi (dist Panurge) que je regardoys en grand liesse ce beau feu, me gabelant: et disant. Ha pauvres pulses, ha pauvres souris, vous aurez maulvais hyver, le feu est en vostre paillier, sortirent plus de six voire plus de treze cens et unze chiens gros et menutz tous ensemble de la ville fuyant le feu. De premiere venue acoururent droict a moy, sentant l'odeur de ma paillarde chair demy rostie, et me eussent devoré a l'heure, si mon bon ange ne m'eust bien inspire me enseignant un remede bien oportun contre le mal des dens. Et a quel propous (dist Pantagruel) craignois tu le mal des dens. N'estois tu guery de tes rheumes? Pas ques de soles (respondit Panurge) est il mal de dens plus grand, que quand les chiens vous tenent au jambes. Mais soudain je me advise de mes lardons, et les gettoys au mylieu d'entre eulx,
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lors chiens d'aller, et de se entrebatre l'un l'aultre a belles dentz, a qui auroit le lardon. Par ce moyen me laisserent, et je les laisse aussi se pelaudans l'un l'autre. Ainsi eschappe gaillard et dehayt; et vive la roustisserie.

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