Page [2] [page blanche]
Page [3]

L’ isle sonante par maistre Francoys Rabelays.

Cestuy jour et les deux aultres subsequens ne leur apparut terre ou autre chose nouvelle: car autrefois avoyent erré ceste couste. Au quatrieme jour commençans tournoier le Pole, nous esloignans de l’equinoctial nous apperceumes terre: et nous fut dict par nostre Pilote que c’estoit l’ isle des Triphes, entendismes un son de loing venant, frequent et tumultueux, et nous sembloit a louyr que fussent cloches petites, grosses, mediocres ensemble sonantes. Comme l’on fait a Paris, Jergueau, Medon et autres, es jours des grands festes, plus approchans, plus entendions ceste sonnerie se renforcer, nous doubtions que ce fust Dodonne avec ses chauderons, ou le Portique Heptaphone en Olympie, comme en la terre des Elyens. Ou bien le bruit sempiternel du colosse erigé sur la sepulture de Memmon. En Thebes d’ Egypte, ou les tintamarres que jadis on oyoit au tour du sepulchre en l’ isle de Lipare, l'un des Arolides : mais la cosmographie n’y consentoit. Je doubte, dist Pantagruel, que là quelque compagnie d’abeilles ayt commencé prendre

Page [4]
vol en l’air, pour lesquelles revocquer ce voisinage fait ce tremblement de poilles, chauderons, bassins, et cymbales coribantiques de Cybelle, mere grand des dieux, Approchans davantage entendismes entre la perpetuelle sonnerie de cloches, chans infatigables d’hommes là residens. Comme estoit nostre advis ce fut la cause pourquoy avant que aborder en l' isle sonante, Pantagruel fut d’opinion que descendissions avec nostre equif en un petit roq, aupres duquel recognoissions un hermitage en quelque petit jardinet: là trouvasmes un petit bonhommet d’hermite, nommé Braguibus, natif de Glatigny. lequel nous donna pleine instruction de toute la sonnerie, et nous festoya d’une estrange facon: il nous feist quatre jours subsequens jeusner, affermant qu’en l’ isle sonante autrement receuz ne serions, par ce que lors estoit le jeusne des quatre temps Je n’entens point, dist Panurge, celuy Enigme, ce seroit plustost le temps des quatre vents, car jeunas ne sommes farciz que du vent. Et quoy, si vous n’avez autre passetemps que de jeusner, me semble qu’il doibt estre bien maigre. Nous passerions bien de tant de festes du palais. En mon Donet, dist frere Jehan, je ne trouve que trois temps, le present, preterit, et futur. Icy doit le quatriesme
Page [5]
estre pour le vin du vallet. Il est, dist Epistemon Auriste en preterit plus que parfait des Grecs et des Latins en temps garré et bigarré receu. Patience, disent les ladres. Il est dist l’hermite, fatal: ainsi comme je vous ay dict, qui contredit est heretique, et ne luy faut que le feu. Sans faute pater, dist Panurge, estant sur mer je crains beaucopu plus estre mouillé que chauffé, et estre noyé que bruslé. Beuvons tousjours de par Dieu, mais j’ay par cy devant tant jeusné que les jeusnes me ont sappé toute la chair, et crains beaucoup que les bastions de mon corps viennent en decadence. Autre peur ay-je davantage, c’est de vous fascher en jeusnant, car je n’y scay rien et y ay mauvaise grace, comme plusieurs m’ont affermé, et je les croy de ma part. Bien peu me soucie-je de jeusner, il n’est chose tant facile et tant a main: bien plus me soucie-je de ne jeusner point a l’avenir, car là il faut avoir de quoy mettre au moulin. Jeusnons de par Dieu puis que entrez sommes es feries esuriales, ja long temps a que je les recognoissois. Si jeusner faut, dist Pantagruel, expedient n’est autre fors nous en depescher comme d’un mauvais chemin. Aussi bien veux-je un peut revisiter mes papiers, et entendre si l’estude marine est aussi bonne que la terrienne, par ce que
Page [6]
Platon voulant descrire un homme nyais, imparfaict et ignorant, le compare a gens nourris en mer dedans les navires, comme nous dirions de gens nourris dedans un baril, qui onques ne regarderent que par un trou. Noz jeusnes furent terribles et espouvantables, car le premier jour nous jeusnasmes a bastons rompuz, le second a espees rabatues, le tiers a fer esmolu, et le quart a feu et a sang, telle estoit l’ordonnance des faees.

Real    Hypothetical    Fictional    Mythical   
Region, area    Town, village    Building    Water (lakes, rivers, etc.)    mountains, islands, ...    Other