¶Comment le Moyne feut festoye par Gargantua, et des beaulx propous qu’il tint en souppant. Chap. xxxvij.

Quand Gargantua feut a table et la premiere poincte des morceaux feut bauffree, Grandgouzier commencea raconter la source et la cause de la guerre meue entre luy et Picrochole, et vint au poinct de narrer comment frere Jean des entommeures avoit triomphe a la defence du clous de l’abbaye, et le loua au dessus des prouesses de Camille, Scipion, Pompee, Cesar, et Themistocles. Adoncques requist Gargantua que sus l’heure feust envoye querir, affin qu’avecques luy on consultast de ce qu’estoit a faire. Par leur vouloir l’alla querir son maistre d’hostel et l’admena joyeusement avecques son baston de croix sus la mulle de Grandgouzier. Quand il feut venu, mille charesses, mille embrassemens, mille bons jours feurent donnez. Hes frere Jean mon amy. Frere Jean mon grand cousin, frere Jean de par le diable.

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La collee, mon amy. A moy la brassee. Cza couillon que je te esrene de force de t’acoller. Et frere Jean de rigoller jamais homme ne feut tant courtoys ny gracieux. Cza cza, dist Gargantua, une escabelle icy aupres de moy, a ce bout. Je le veulx bien (dist le moyne) puis qu’ainsi vous plaist. Page de l’eau: boute mon enfant boute, elle me refraischira le faye, Baille icy que je guargarize. Deposita cappa. dist Gymnaste, houstons ce froc. Ho par dieu (dist le Moyne) mon gentil homme, il y a un chapitre in statutis ordinis: au quel ne plairoit le cas. Bren (dist Gymnaste) bren, pour vostre chapitre. Ce froc vous rompt les deux espaules. Mettez bas. Mon amy (dist le Moyne) laisse le moy, car par dieu je n’en boy que mieulx. Il me faict le corps tout joyeulx. Si je le laisse, messieurs les pages en feront des jarretieres: comme il me feut faict une fois a Coulaines. Dadventaige je n’auray nul appetit. Mais si en cest habit je m’assys a table, je boiray par dieu et a toy/ et a ton cheval. Et de hayt. Dieu guard de mal la compaignie. Je avoys souppe. Mais pource ne mangeray je poinct moins. Car j’ay un estomach pave/ creux comme la botte sainct Benoist : tousjours ouvert comme la gibbessiere d’un advocat. De tous poissons fors que la tanche, prenez l’aelle de
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la Perdrys. Ceste cuisse de Levrault est bonne pour les goutteux. A propous truelle, pourquoy est ce que les cuisses d’une damoizelle sont tousjours fraisches? Ce probleme (dist Gargantua) n’est ny en Aristote, ny en Alex. Aphro dise, ny en Plutarque. C’est (dist le Moyne) Pour troys causes, par lesquelles un lieu est naturellement refraischy. Primo/ pour ce que l’eau decourt tout du long. Secundo/ pour ce que c’est un lieu umbrageux/ obscur/ et tenebreux, on quel jamais le Soleil ne luist. Et tiercement pour ce qu’il est continuellement esvente des ventz du trou, de bize/ de chemise: et d’abondant de la braguette. Et dehayt. Page a la humerye. Crac/ crac/ crac/ Que Dieu est bon, qui nous donne ce bon piot. J’advoue dieu, si je eusse este on temps de Jesuchrist, j’eusse bien engarde que les Juifz ne l’eussent prins au Jardin de Olivet. Ensemble le diable me faille: si j’eusse failly de coupper les jarretz a messieurs les Apostres qui fuyrent tant laschement apres qu’ilz eurent bien souppe, et laisserent leur bon maistre au besoing. Je hay plus que poizon un homme qui fuyt quand il fault jouer des cousteaulx. Hon que je ne suys roy de France pour quatre vingtz ou cent ans. Par dieu je vous mettroys en chien courtault les fuyars de Pavye. Leur
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fiebvre cartaine. Pourquoy ne mouroient ilz la, plus tost que laisser leur bon prince en ceste necessite? N’est il pas meilleur et plus honorable mourir vertueusement bataillant, que vivre fuyant villainement? Nous ne mangerons gueres d’oysons ceste annee. Ha mon amy, baille de ce cochon. Diavol, il n’y a plus de moust. Germinavit radix Jesse. Je renye ma vie je meurs de soif. Ce vin n’est pas des pires. Quel vin beuviez vous a Paris ? Je me donne au diable, si je n’y tins plus de six moys pour un temps maison ouverte a tous venens. Congnoissiez vous frere Claude de sainct Denys? O le bon compaignon que c’est. Mais quelle mousche l’a picque? Il ne faict rien que estudier depuis je ne scay quand. Je n’estudie poinct de ma part. En nostre Abbaye nous ne estudions jamais, de peur des auripeaux. Nostre feu abbe disoit/ que c’est chose monstreuse veoir un moyne scavant. Par dieu monsieur mon amy magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes. Vous ne veistez oncques tant lievres come il y en a ceste annee Je n’ay peu recouvrir ny Aultour/ ny Tiercelet de lieu du monde. Monsieur de la BelloniereMonsieur de la Bellonierela Belloniere me avoyt promis un Lanier, mais il m’escripvit n’a gueres qu’il estoit devenu patays Les perdrys nous mangeront les aureilles
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mesouan. Je ne prends poinct de plaisir a la tonnelle. Car je y morfonds. Si je ne cours/ si je ne tracasse/ je ne suis poinct a mon aize. Vray est que saultant les hayes et buissons, mon froc y laisse du poil. J’ay recouvert un gentil levrier. Je me donne au diable si luy eschappe lievre. Un lacquays le menoit a monsieur de Maulevriermonsieur de MaulevrierMaulevrier : je le destroussay: feys je mal? Nenny frere Jean (dist Gymnaste) nenny de par tous les diables nenny. Ainsi (dist le Moyne) a ces diables: ce pendent qu’ilz durent. Vertus dieu qu’en eust faict ce boyteux? Le cor dieu il prent plus de plaisir quand on luy faict present d’un bon couble de beufz. Comment (dist Ponocrates) vous jurez frere Jean ? Ce n’est (dist le Moyne) que pour orner mon langaige. Ce sont couleurs de rhetorique Ciceroniane.

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