¶La concion que feist Gargantua es vaincuz, Chap. xlviii.

Noz peres/ ayeulx/ et ancestres de toute memoyre, ont este de ce sens et ceste nature, que des batailles par eulx consommees ont pour signe memorial des triumphes et victoyres plus voulentiers erige trophees et monumens es cueurs des vaincuz par grace, que es terres par eulx conquestees, par architecture. Car plus estimoient la vive soubvenance des humains acquise par liberalite, que la mute inscription des arcs/ columnes/ et pyramides subiecte es calamitez de l’air, et envie d’un chascun. Soubvenir assez vous peut de la mansuetude, dont ilz userent envers les Bretons a la journee de sainct Aubin du Cormier: et a la demollition de Parthenay. Vous avez entendu/ et entendent admirez le bon traictement qu’ilz feirent es Barbares de Spagnola, qui avoient pille/ depopule/ et saccaige les

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fins maritimes de Olone et Thalmondoys. Tout ce ciel a este remply des louanges et gratulations que vous mesmes et voz peres feistes lors que Alpharbal roy de CanarreAlpharbal roy de CanarreCanarre non assovy de ses fortunes envahyt furieusement le pays de Onys exercent la pyraticque en toutes les isles Armoricques et regions confines. Il feut en juste bataille navalle prins et vaincu de mon pere, ou quel dieu soit garde et protecteur. Mais quoy, on cas que les aultres roys et empereurs/ voyre qui se font nommer Catholicques l’eussent miserablement traicte/ durement emprisonne/ et ranczonne extremement: il le traicta courtoisement/ amiablement le logea avecques soy en son palays/ et par incroyable debonnairete le renvoya en saufconduyt, charge de dons/ charge de graces/ charge de tous offices d’amytie. Qu’en est il advenu? Luy retourne en ses terres feist assembler tous les princes et estatz de son royaulme/ leurs exposa l’humanite qu’il avoit en nous congneu. et les pria sur ce deliberer en faczon que le monde y eust exemple, comme avoit ja en nous de gratieusete honeste, aussi en eulx de honestete gratieuse. La feut decerne par consentement unanime, que l’on offreroit entierement leurs terres/ dommaines et royaulme, a en faire scelon nostre arbitre. Alpharbal en propre personne soubdain retourna
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avecques huyt grandes naufz oneraires, menant non seulement les thresors de sa maison et ligne royalle, mais pres que de tout le pays. Car soy embarquant pour faire voille au vent vvesten Nordest: chascun a la foulle gettoit dedans icelles or/ argent/ bagues/ joyaux/ espiceries / drogues et odeurs aromaticques. Papegays/ Pelicans/ Guenons/ Civettes / Genettes/ Porczespicz. Poinct n’estoit filz de bonne mere repute, qui dedans ne gettast ce que avoit de singulier. Arrive que feut, vouloit baiser les piedz de mon dict pere. le faict fut estime indigne: et ne feut tolere, ains feut embrasse socialement: offrit les presens, ilz ne feurent repceuz, par trop estre excessifz: se donna mancipe et serf volentayre soy et sa posterite, ce ne feut accepte, par ne sembler equitable: ceda par le decret des estatz ses terres et royaulme offrant la transaction et transport signe, seelle/ et ratifie de tous ceulx qui faire le doibvoient, ce fut totalement refuse, et les contractz gettez au feu. La fin feut, que mon dict pere commencza lamenter de pitie et pleurer copieusement, considerant le franc vouloir et simplicite des Canarriens: et par motz exquys et sentences congrues diminuoyt le bon tour qu’il leur avoit faict, disant ne leur avoir faict bien qui feust a l’estimation d’un bouton: et si rien d’honnestete leur avoit
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monstre, il estoit tenu de ce faire. Mais tant plus l’augmentoit Alpharbal. Quelle feut l’yssue? En lieu que pour la ranczon prinse a toute extremite, eussions peu tyrannicquement exiger vingt foys cens mille escuz/ et retenir pour houstagiers ses enfans aisnez. Ils se sont faictz tributaires perpetuelz, et obligez nous bailler par chascun an deux millions d’or affine a vingt et quatre karatz. Ilz nous feurent l’annee premiere icy payez: la seconde de franc vouloir en paierent xxiii. cens mille escuz: la tierce. xxvi. cens mille: la quarte troys millions, et tant tousjours croissent de leur bon gre, que serons contrainctz leurs inhiber de rien plus nous apporter. C’est la nature de gratuite. Car le temps qui toutes choses erode et diminue, augmente / et accroist les biensfaictz, par ce q’un bon tour liberalement faict a homme de raison, croist continuement par noble pensee et remembrance. Ne voulant doncques aulcunement degenerer de la debonnairete hereditaire de mes parens. maintenant je vous absouz et delivre, et vous rends francs et deliberez comme par avant. D’abondant serez a l’yssue des portes payez chascun pour troys moys, pour vous pouvoir retirer en voz maisons et familles/ et vous conduiront en saulvete six cens hommes d’armes/ et huyt mille hommes de pied soulz la
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conduicte de mons escuyer Alexandre, affin que par les paisans ne soyez oultragez. Dieu soit avecques vous. Je regrette de tout mon cueur que n’est icy Picrochole. Car je luy eusse donne a entendre que sans mon vouloir, sans espoir de accroistre ny mon bien/ ny mon nom, estoyt faicte ceste guerre. Mais puis qu’il est esperdu/ et ne scayt on ou, ny comment est esvanouy, je veulx que son royaulme demeure entier a son filz. Lequel par ce qu’est par trop bas d’aage/ (car il n’a encores cinq ans accomplyz) sera gouverne et instruict par les anciens princes et gens scavans du royaulme. Et par autant q’un royaulme ainsi desole, seroit facilement ruine, si l’on ne refrenoyt la couvoytise et avarice des administrateurs d’icelluy: je ordonne et veulx que Ponocrates soyt sus tous ses gouverneurs entendent avecques autorite a ce requise, et assidu avecques l’enfant: jusques a ce qu’il le congnoistra idoine de povoir par soy regir et regner. Je consydere que facilite trop enervee et dissolue de pardonner es malfaisans, leur est occasion de plus legierement de rechief mal faire, par ceste pernicieuse confiance de grace. Je consydere que Moyse, le plus doulx homme qui de son temps feust sus la terre, aigrement punissoyt les mutins et seditieulx au peuple de Israel. Je consydere que Jules
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Cesar
empereur tant debonnaire, que de luy dict Ciceron : que sa fortune rien plus souverain n’avoit, si non qu’il pouvoit: et sa vertus meilleur n’avoit/ si non qu’il vouloit tousjours saulver/ et pardonner a un chascun. Icelluy toutesfoys ce non obstant en certains endroictz punit rigoureusement les auteurs de rebellion. A ces exemples je veulx que me livrez avant le departir: premierement ce beau Marquet, qui a este source et cause premiere de ceste guerre par sa vaine oultrecuidance. Secondement ses compaignons fouaciers: que feurent negligens de corriger sa teste folle sus l’instant. Et finablement tous les conseilliers/ capitaines/ officiers et domesticques de Picrochole : lesquelz le auroient incite, loue, ou conseille de sortir ses limites pour ainsi nous inquieter.

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