Le songe de Panurge et interpretation d’icelluy. Chapitre XIIII.
Sus les sept heures du matin subsequent Panurge se praesenta davant Pantagruel, estans en la chambre Epistemon, frere Jan des entommeures, Ponocrates, Eudemon, Carpalim, et aultres: es quelz a la venue de Panurge dist Pantagruel. Voyez cy nostre songeur. Ceste parolle, dict Epistemon, jadis cousta bon, et feut cherement vendue es enfans de Jacob. Adoncques dist Panurge, j’en suys bien ches Guillot le songeur. J’ay songé tant et plus, mais je n’y entends note. Exceptez que par mes songeries j’avoys une femme jeune, gualante, belle en perfection: laquelle me traictoit et entretenoit mignonnement, comme un petit dorelot. Jamais home ne feut plus aise, ne plus joyeulx. Elle me flattoit, me chatouilloit, me tastonnoit, me testonnoit, me baisoit, me accolloit, et par esbattement me faisoit deux belles petites cornes au dessus du front. Je luy remonstroys en folliant qu’elle me les debvoit mettre au dessoubz des oeilz, pour mieulx veoir ce que j’en vouldroys ferir: affin que Momus ne trouvast en elle chose aulcune imperfaicte, et digne de correction,
J’entends (dist Pantagruel) si j’ay jugement aulcun en l’art de divination par songes, que vostre femme ne vous fera realement et en apparence exterieure cornes on front, comme portent les Satyres: mais elle ne vous tiendra foy ne loyaulté conjugalle, ains a aultruy se abandonnera, et vous fera coqu. Cestuy poinct est apertement exposé par Artemidorus comme le diz. Aussi ne sera de vous faicte metamorphose en tabourin, mais d’elle vous serez battu comme tabour a nopces: ne d’elle en Chouette: mais elle vous desrobbera, comme est le naturel de la chouette. Et voyez
Au rebours (dist Panurge) mon songe presagist qu’en mon mariage, j’auray planté de tous biens, avecques la corne d’abondance. Vous dictez que seront cornes de Satyres. Amen, amen, fiat, fiatur, ad differentiam papae. Ainsi auroys je eternellement le virolet en poinct et infatiguable, comme l’ont les Satyres. Chose que tous desirent, et peu de gens l’impetrent des cieulx. Par consequent, coqu jamais. car faulte de ce est cause sans laquelle non, cause unicque, de faire les mariz coquz. Qui faict les coquins mandier? C’est qu’ilz n’ont en leurs maisons dequoy leur sac emplir. Qui faict le loup sortir du bois? Default de carnage. Qui faict les femmes ribauldes? Vous m’entendez assez. J’en demande a messieurs les clers, a messieurs les praesidens, conseilliers, advocatz, proculteurs et
Vous (pardonnez moy si je mesprens) me semblez evidentement errer interpretant cornes pour cocuage. Diane les porte en teste a forme de beau croissant. Est elle coqüe pourtant? Comment diable seroyt elle coqüe, qui ne feut oncques mariée? Parlez de grace correct, craignant qu’elle vous en face au patron que feist a Acteon. Le bon Bacchus porte cornes semblablement: Pan : Juppiter Ammonien, tant d’aultres. Sont ils coquz? Juno seroit elle putain? Car il s’ensuivroyt par la figure dicte Metalepsis. Comme appellant un enfant en praesence de ses pere et mere, champis ou avoistre, c’est honestement, tacitement dire le pere coqu, et sa femme ribaulde. Parlons mieulx. Les cornes que me faisoit ma femme, sont cornes d’abondance, et planté de tous biens. Je le vous affie. Au demourant je seray joyeulx comme un tabour a nopces, tousjours sonnant, tousjours ronflant, tousjours bourdonnant et petant. Croyez que c’est l’heur de mon bien. Ma femme sera coincte et jolie: comme une belle petitte Chouette.
Je note (dist Pantagruel) le poinct dernier que avez dict, et le confere avecques le premier. Au commencement vous estiez tout confict en delices de vostre songe. En fin vous esveiglastez en sursault fasché, perplex, et indigné. (Voire, dist Panurge, car je n’avoys poict dipné) Tout ira en desolation, je le prevoy. Sçaichez pour vray, que tout sommeil finissant en sursault, et laissant la persone faschée et indignée, ou mal signifie, ou mal praesagist. Mal signifie, c’est a dire maladie cacoethe, maligne, pestilente, oculte, et latente dedans le centre du corps. laquelle par sommeil, qui tousjours renforce la vertus concoctrice (scelon les theoremes de medicine) commenceroit soy declairer, et mouvoir vers la superficie. Au quel triste mouvement seroyt le repous dissolu, et le premier sensitif admonnesté de y compatir et pourveoir. Comme en proverbe lon dict, irriter les freslons, mouvoir la Camarine, esveigler le chat qui dort. Mal praesagist, c’est a dire, quant au faict de l’ame en matiere de divination somnialle, nous donne
Lors l’heure estoit, que sommeil, don des Cieulx,
Vient aux humains fatiguez, gracieux.
Tel don en fascherie et indignation ne peut estre terminé, sans grande infelicité praetendue. Aultrement seroit repous non repous: don non don: Non des dieux amis provenent, mais des diables ennemis, jouxte le mot vulgaire εχθρων άδωρα δωρα. Comme si le perefamiles estant a table opulente, en bon appetit, au commencement de son repas, on voyoid en sursault espouventé soy lever. Qui n’en sçauroit la cause s’en pourroit esbahir. Mais quoy? il avoit ouy ses serviteurs crier au feu: ses servantes crier au larron: ses enfans crier au meurtre. La failloit le repas laisse accourir, pour y remedier, et donner ordre. Vrayement je me recorde, que les Caballistes et Massorethz interpretes des sacres letres, exposans en quoy lon pourroit par discretion congnoistre la verité des apparitions
Réel
Hypothétique
Fictif
Mythique
|
||||
Région, contrée
Ville, village
Bâtiment
Étendue, cours d'eau
Montagne, île, ...
Autre
|
||||
|
|
|