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Comment Pantagruel et ses compaignons estoient fachez de manger de la chair salee, et comme Carpalim alla chasser pour avoir de la venaison. Cha. xxvj.

Ainsi comme ilz bancquetoyent Carpalim dist. Et ventre sainct Quenet ne mangerons nous jamais de venaison? Ceste chair sallee me altere tout. Je vous voys apporter icy une cuysse de ces chevaulx que avons faict brusler elle sera assez bien rostie.

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Tout ainsi qu'il se levoit pour ce faire apperceut a l'oree du boys un beau grand chevreul qui estoit yssu du fort, voyant le feu de Panurge, a mon advis.Incontinent courut apres de telle roiddeur, qu'il sembloit que feust un carreau d'arbaleste, et l'attrapa en un moment: et en courant print de ses mains en l'air quatre grandes Otardes. Sept Bitars. Vingt et six perdrys grises. Trente et deux rouges. Seize Faisans. Neuf Beccasses. Dix et neuf Herons. Trente et deux Pigeons ramiers. Et tua de ces pieds dix ou douze que Levraulx que Lapins qui ja estoyent hors de piege. Dixhuyt Rasles parez ensemble. Quinze sanglerons. Deux Blereaux. Troys grands Renards. Frappant doncques le Chevreul de
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son Malcus a travers la teste le tua, et l'apportant recueillit ses Levraulx, Rasles et Sanglerons. Et de tant loing que peust estre ouy, s'escria, disant. Panurge mon amy: vinaigre, vinaigre.Dont pensoit le bon Pantagruel, que le cueur luy fist mal, et commanda qu'on lui apprestast du vinaigre: Mais Panurge entendit bien, qu'il y avoit Levrault au croc, de faict monstra au noble Pantagruel comment il portoit a son col un beau chevreul, et toute sa ceincture brodee de levraulx.Soubdain Epistemon fist au nom des neuf Muses neuf belles broches de boys a l'anticque: Eusthenes aydoit a escorcher.Et Panurge mist deux selles d'armes des chevaliers en tel ordre qu'elles servirent de landiers, et firent roustisseur leur prisonnier, et au feu ou brusloyent les chevaliers, firent roustir leur venaison. Et apres grand chere a force vinaigre, au diable l'un qui ce faignoit, c'estoit triumphe de les veoir bauffrer.Lors dist Pantagruel,
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Pleust a dieu que chascun de vous eust deux paires de sonnettes de Sacre au menton, et que je eusse au mien les grosses horologes de Renes, de Poictiers, de Tours, et de Cambray, pour veoir l'aubade que nous donnerions au remuement de noz badiguoinces.Mais dist Panurge, il vault mieulx penser de nostre affaire un peu, et par quel moyen nous pourrons venir au dessus de noz ennemys. C'est bien advise, dist Pantagruel. Pourtant demanda a leur prisonnier. Mon amy, dys nous icy la verité et ne nous mens en rien, si tu ne veulx estre escorché tout vif: car c'est moy qui mange les petiz enfans. Conte nous entierement l'ordre, le nombre, et la forteresse de l'armee.Aquoy respondit, le prisonnier. Seigneur sachez pour la verité que en l'armee sont troys cens Geans tous armez de pierre de taille grands a merveilles, toutesfoys non tant du tout que vous, excepte un qui est leur chef, et a nom Loupgarou, et est
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tout arme d'enclumes Cyclopicques. Cent soixante et troys mille pietons tous armes de peaulx de Lutins, gens fortz et courageux: unze mille quatre cens hommes d'armes, troys mille six cens doubles canons, et d'espingarderie sans nombre: quatre vingtz quatorze mille pionniers: cent cinquante mille putains belles comme deesses (voyla pour moy, dist Panurge) dont les aulcunes sont Amazones, les aultres Lyonnoyses, les aultres Parisiannes, Tourangelles, Angevines, Poictevines, Normandes, Allemandes, de tous pays et toutes langues y en a.Voire mais (dist Pantagruel) le Roy y est il? Ouy Sire, dist le prisonnier, il y est en personne: et nous le nommons Anarche roy des Dipsodes, qui vault autant a dire comme gens alterez: car vous ne veistes oncques gens tant alterez, ny beuvans plus voluntiers. Et a sa tente en la garde des geans.C'est assez, dist Pantagruel. Sus enfans estez vous deliberez
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d'y venir avecques moy?A quoy respondit Panurge. Dieu confonde qui vous laissera, j'Ay ja pense comment je vous les rendray tous mors comme porcs, qu'il n'en eschappera au diable le jarret Mais je me soucie quelque peu d'un cas. Et qui est ce? dist Pantagruel. C'est (dist Panurge) comment je pourray avanger a braquemarder toutes les putains qui y sont en ceste apres disnee, qu'il n'en eschappe pas une, que je ne taboure en forme commune. Ha, ha, ha, dist Pantagruel. Et Carpalim dist. Au diable de biterne: par dieu j'en embourreray quelque une. Et je, dist Eusthenes, quoy? qui ne dressay oncques puis que bougeasmes de Rouen, au moins que l'aguille montast jusques sur les dix ou unze heures: voire encores que laye dur et fort comme cent diables. Vrayement dist Panurge, tu en auras des plus grasses et des plus refaictes. Comment (dist Epistemon) tout le monde chevauchera et je meneray l'asne, le
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diable emport qui en fera rien. Nous userons du droict de guerre, qui potest capere capiat. Non, non, dist Panurge. Mais atache ton asne a un croc, et chevauche comme le monde. Et le bon Pantagruel ryoit a tout, puis leur dist. Vous comptez sans vostre hoste. J'ay grand peur que devant qu'il soit nuyct, ne vous voye en estat, que ne aurez grande envie d'arresser, et qu'on vous chevauchera a grand coup de picque et de lance. Baste, dist Epistemon. Je vous les rends a roustir ou boillir: a fricasser ou mettre en paste. Ilz ne sont en si grand nombre comme avoit Xerces : car il avoit trente cens mille combatans si croyez Herodote et Troge pompone. Et toutesfoys Themistocles a peu de gens les desconfit. Ne vous souciez pour dieu.Merde merde, dist Panurge. Ma seulle braguette espoussetera tous les hommes, et sainct Balletrou qui dedans y repose, decrottera toutes les femmes,
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Sus doncques enfans, dict Pantagruel, commencons a marcher.

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