La contion que feist Gargantua es vaincus. Chap. l.

Nos peres, ayeulx, et ancestres de toute memoyre, ont este de ce sens et ceste nature: que des batailles par eulx consommees ont pour signe memorial des triumphes et victoires plus voluntiers erige trophees et monumens es cueurs des vaincuz par grace: que es terres par eulx conquestees par architecture. Car plus estimoient la vive souvenance des humains acquise par liberalite, que la mute inscription des arcs, colomnes, et pyramides subjecte es calamitez de l'air, et envie d'un chascun. Souvenir assez vous peut de la mansuetude, dont ilz userent envers

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les Bretons a la journee de sainct Aubin du Cormier : et a la demolition de Parthenay. Vous avez entendu, et entendent admirez le bon traictement qu'il feirent es Barbares de Spagnola, qui avoient pille, depopule, et saccaige les fins maritimes de Olone et Thalmondoys.

Tout ce ciel a este remply des louanges et gratulations que vous mesmes et vos peres feistes lors que Alpharbal roy de Canarre non assovy de ses fortunes envahyt furieusement le pays de Onys exercent la piraticque en toutes les isles Armoricques et regions confines. Il feut en juste bataille navale prins et vaincu de mon pere, au quel Dieu soit garde et protecteur. Mais quoy? Au cas que les aultres roys et Empereurs, voyre qui se font nommer Catholicques l'eussent miserablement traicte, durement emprisonne, et ranconne extremement: il le traicta courtoisement, amiablement le logea avecques soy en son palays, et par incroyable debonnaireté le renvoya

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en saufconduyt, charge de dons, charge de graces, charge de toutes offices d'amytie. Qu'en est il advenu? Luy retourne en ses terres feist assembler tous les princes et estatz de son royaulme, leurs exposa l'humanite qu'il avoit en nous congneu et les pria sur ce deliberer en facon que le monde y eust exemple, comme avoit ja en nous de gracieusete honeste: aussi en eulx de honestete gracieuse. La feut decrete par consentement unanime, que l'on offreroit entiere ment leurs terres dommaines et royaulme, a en faire selon nostre arbitre.

Alpharbal en propre personne soubdain retourna avecques neuf mille trente et huyt grandes naufz oneraires, menant non seulement les thesors de sa maison et lignee royalle, mais pres que de tout le pays. Car soy embarquant pour faire voille au vent Vesten Nordest: chascun a la foulle gettoit dedans icelle or, argent, bagues, joyaulx, espiceries, drogues et odeurs aromaticques.

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Papegays, Pelicans, Guenons, Civettes, Genettes, Porczespicz. Poinct n'estoit filz de bonne mere repute, qui dedans ne gettast ce que avoit de singulier. Arrive que feut vouloit baiser les piedz de mondict pere, le faict fut estime indigne: et ne feut tolere: ains fut embrasse socialement: offrit ses presens, ilz ne feurent receupz, par trop estre excessifz, se donna mancipe et serf voluntaire, soy et sa posterite: ce ne feut accepte par ne sembler equitable: ceda par le decret des estatz ses terres et royaulme offrant la transaction et transport signee, seelle et ratifie de tous ceulx qui faire le debvoient: ce fut totalement refuse, et les contractz gettes au feu. La fin feut, que mon dict pere commenca lamenter de pitie et pleurer copieusement, considerant le franc vouloir et simplicite des Canarriens: et par motz exquis et sentences congrues diminuoit le bon tour qu'il leur avoit faict, disant ne leur avoit faict bien qui feut a l'estimation d'un bouton,
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et si rien d'honnestete leur avoit monstre, il estoit tenu de ce faire. Mais tant plus l'augmentoit Alpharbal. Quelle feut l'yssue? En lieu que pour sa rancon prinze a toute extremite, eussent peu tyrannicquement exiger vingt foys cent mille escutz et retenir pour houstaigers ses enfants aisnez. Ilz se sont faictz tributaires perpetuelz, et obligez nous bailler par chascun an deux millions d'or affine a vingt quatre Karatz, Ilz nous feurent l'annee premiere icy payez: la seconde de franc vouloir en paierent.xxiij cens mille escuz la tierce.xxvj cens mille, la quarte troys millions, et tant tousjours croissent de leur bon gre, que serons contrainctz leurs inhiber de rien plus nous apporter. C'est la nature de gratuite. Car le temps qui toutes choses ronge et diminue, augmente, et accroist les biensfaictz, par ce q'un bon tour liberalement faict a homme de raison, croist continuement par noble pensee et remembrance. Ne voulant doncques
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aulcunement degenerer de la debonnairete hereditaire de mes parens, maintenant je vous absoluz et delivre, et vous rends francs et liberes comme par avant.

D'abondant serez a l'yssue des portes payez chascun pour troys moys, pour vous pouvoir retirer en voz maisons et familles, et vous conduiront en saulvete six cens hommes d'armes et huyct mille hommes de pied soubz la conduicte de mon escuyer Alexandre, affin que par les paisans ne soyez oultragez. Dieu soit avecques vous. Je regrette de tout mon cueur que n'est icy Picrochole. Car je luy eusse donne a entendre que sans mon vouloir, sans espoir de accroistre ny mon bien, ny mon nom, estoit faicte ceste guerre. Mais puis qu'il est esperdu, et ne scayt on ou, ny comment est esvanouy, je veulx que son royaulme demeure entier a son filz. Lequel par ce qu'est par trop bas d'eage, (car il n'a encores cinq ans accomplyz) sera gouverne et instruict par les anciens princes et

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gens scavans du royaulme. Et par autant q'un royaulme ainsi desole, seroit facilement ruine, si on ne refrenoit la convoytise et avarice des administrateurs d'icelluy: je ordonne et veux que Ponocrates soit sus tous ses gouverneurs entendant, avecques auctorite a ce requise, et assidu avecques l'enfant: jusques a ce qu'il le congnoistra idoine de povoir par soy regir et regner. Je considere que facilite trop enervee et dissolue de pardonner es malfaisans, leur est occasion de plus legierement de rechief mal faire, par ceste pernicieuse confiance de grace. Je considere que Moyse, le plus doulx homme qui de son temps feust sus le terre, aigrement punissoit les mutins et seditieux peuple de Israel. Je considere que Jules Cesar empereur tant debonnaire, que de luy dict Ciceron, que sa fortune rien plus souverain n'avoit, si non qu'il pouvoit: et sa vertus meilleur n'avoit, sinon qu'il vouloit tousjours sauver, et pardonner a un chascun. Icelluy
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toutesfoys ce non obstant en certains endroictz punit rigoureusement les aucteurs de rebellion. A ces exemples je veulx que me livrez avant le departir: premierement ce beau Marquet, qui a este source et cause premiere de ceste guerre par sa vaine oultrecuidance, Secondement ses compaignons fouaciers, qui feurent negligens de corriger sa teste folle sus l'instant. Et finablement tous les conseillers, capitaines officiers et domestiques de Picrochole : lesquelz le auroient incite, loue, ou conseille de sortir ses limites pour ainsi nous inquieter.

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