Epistre aux Lecteurs /faisant mention des Hystoriographes qui ont escript des merveilles du monde. Chapitre. I.

Pource que plusieurs hystorians et cosmographes ont descript en plusieurs Livres les grandes et admirables merveilles du monde, non pas sans mensonge, comme il est advis a plusieurs. Comme a faict Pline en son Livre de la naturelle hystoire. Solin en son Livre des choses memorables. Strabo en son Livre de la situation du monde. Lucian en son Livre des vrayes narrations. Jean de mandeville en son Livre des voyages. Et plusieurs aultres assez grands menteurs, lesquelz je ne veulx pas nommer pour le present de peur qu’ilz ne me taxent de pareil crime si je escriptz chose qui ne leur semble pas estre vraye, Toutesfoys a juger de mes escriptz sans haine et sans faveur on congnoistra evidamment, que je

suys le vray imitateur de verite, et qu’en mes dictz y a si grosse apparence que n’y aura nul qui les doibve ny ause impugner sans reprehension manifeste, et sans en estre vitupere de tous vrays Hystoriographes, aux quelz je commectz le Jugement de ce present Livre, lequel j’ay compille a grosse peine et labeur de peur de cheoir en aulcune erreur, car il n’y a gueres a faire a mentir qui ne s’en donne bien garde pour le jourd’huy. Or pour venir a la matiere dont il est question, Il est vray que je me deliberay ung jour de voyager par la Mer pour veoir enquerir et perscruter les grandes merveilles qui y sont, et la grande diversite des isles et des monstres saulvaiges et marins que l’on veoit en plusieurs mers et regions estranges. Et pour ce faire je faict equipper ung navire tout propre, de sorte qu’il n’y falloit riens. Car premierement je le faict garnir de bonne et grosse artillerie pour assaillir et pour deffendre si besoing estoit. En apres je le feist munir de Biscuit, de Vins, de lardz, de beuf sale, et bresil, et toutes choses requises en tel cas.