Comment Pantagruel feist ses aprestz pour monter sus mer. Et de l’herbe nommée Pantagruelion. Chapitre XLIX.

Peu de jours apres Pantagruel avoir prins congié du bon Gargantua, luy bien priant pour le voyage de son filz, arriva au port de Thalasse pres Sammalo, acompaigné de Panurge, Epistemon, Frere Jan des entommeures abbé de ThelemeFrere Jan des entommeures abbé de ThelemeTheleme, et aultres de la noble maison, notamment de Xenomanes le grand voyagier et traverseur des voyes perilleuses, lequel estoit venu au mandement de Panurge. Par ce qu’il tenoit je ne sçay quoy en arriere fief de la chastellenie de Salmiguondin. La arrivez, Pantagruel dressa equippage de navires, a nombre de celles que Ajax de Salamine avoit jadis menées en convoy des Gregoys a Troie. Nauchiers, pilotz, hespaliers, truschemens, artisans, gens de guerre, vivres,

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artillerie, munitions, robbes, deniers, et aultres hardes print et chargea, comme estoit besoing pour long et hazardeux voyage. Entre aultres choses je veids qu’il feist charger grande foison de son herbe Pantagruelion, tant verde et crude, que conficte et praeparée.

L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finante en poincte obtuse, blanche, a peu de fillamens, et ne profonde en terre plus d’une coubtée. De la racine procede un tige unicque, rond, ferulacée, verd au dehors, blanchissant au dedans: concave, comme le tige de Smyrnium, Olus atrum, Febves, et Gentiane: ligneux, droict, friable, crenelé quelque peu a forme de columnes legierement striées: plein de fibres, es quelles consiste toute la dignité de l’herbe. mesmement en la partie dicte Mesa, comme moyene, et celle qui est dicte Mylasea. Haulteur d’icelluy communement est de cinq a six pieds. Aulcunes foys excede la haulteur d’une lance. Sçavoir est, quand il rencontre terrouoir doulx, uligineux, legier, humide sans froydure: comme est Olone et celluy de Rosea pres Praeneste en Sabinie, et que

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pluye ne luy deffault environ les Feries des pescheurs, et Solstice aestival. Et surpasse la haulteur des arbres, comme vous dictez Dendromalache par l’authorité de Theophraste : quoy que herbe soit par chascun an deperissante: non arbre en racine, tronc, caudice, et rameaux perdurante. Et du tige sortent gros et fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous jours: asprettes, comme l’Orcanette: durettes, incisées au tour comme une faulcille et comme la Betoine: finisantes en poinctes de Sarisse Macedonicque, et comme une lancette dont usent les Chirurgiens. La figure d’icelle peu est differente des feueilles de Fresne et Aigremoine: et tant semblable a Eupatoire, que plusieurs herbiers l’ayant dicte domesticque, ont dict Eupatoire estre Pantagruelion saulvaginé. Et sont par rancs en eguale distance esparses au tour du tige en rotondité par nombre en chascun ordre ou de cinq ou de sept. Tant la cherie nature, qu’elle l’a douée en ses feueilles de ces deux nombres impars tant divins et mysterieux. L’odeur d’icelles est fort, et peu plaisant aux nez delicatz. La semence
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provient vers le chef du tige, et peu au dessoubs. Elle est numereuse autant que d’herbe qui soit, sphaericque, oblongue, rhomboïde, noire claire, et comme tannée, durette, couverte de robbe fragile: delicieuse a tous oyseaulx canores, comme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, et aultres. Mais estainct en l’home la semence generative, qui en mangeroit beaucoup et souvent. Et quoy que jadis entre les Grecs d’icelle l’on feist certaines especes de fricassées, tartres, et beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres soupper par friandise et pour trouver le vin meilleur: si est ce qu’elle est de difficile concoction, offense l’estomach, engendre mauvais sang, et par son excessive chaleur ferist le cerveau, et remplist la teste de fascheuses et douloreuses vapeurs. Et comme en plusieurs plantes sont deux sexes: masle, et femelle: ce que voyons es Lauriers, Palmes, Chesnes, Heouses, Asphodele, Mandragore, Fougere, Agaric, Aristolochie, Cypres, Terebinthe, Pouliot, Paeone, et aultres: aussi en ceste herbe y a masle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en semence: et femelle,
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qui foisonne en petites fleurs, blanchastres, inutiles: et ne porte semence qui vaille: et comme est des aultres semblables, ha la feuille plus large, moins dure que le masle, et ne croist en pareille haulteur. On seme cestuy Pantagruelion a la nouvelle venue des Hyrondelles, on le tire de terre lorsque les Cigalles commencent s’enrouer.

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