Comment Panurge racompte à maistre Aeditue l'Apologue du Roussin et de l'Asne. CHAP. VII.
Avoir bien beu et bien repeu, Aeditue nous mena en une chambre bien garnie, bien tapissee, toute doree. Là nous fist apporter myrobalans, brain de basme, et zinzebre verd confit, force hypocras et vin delicieux: et nous invitoit par ces antidotes, comme par breuvage du
A minuict Aeditue nous esveilla pour boire: luy mesme y beut le premier disant: Vous autres de l'autre monde dictes que ignorance est mere de tous maux, et dictes vray: mais toutesfois vous ne la bannissez mie de vos entendemens, et vivez en elle, avec elle, par elle. C'est pourquoy tant de maux vous meshaignent de jour en jour: tousjours vous plaignez: tousjours lamen-:tez jamais n'estes assouvis: je le considere presentement. Car ignorance vous tient icy au lict liez, comme fut le dieu des batailles par l'art de Vulcan, et n'entendez que le devoir vostre, estoit d'espargner de vostre sommeil, point n'espargner les biens
Au soir Panurge dist à Aeditue : Seigneur ne vous desplaise, si je vous raconte une histoire joyeuse, laquelle advint au pays de Chastelleraudois depuis vingt et trois lunes. Le pallefrenier d'un gentilhomme au mois d'Avril pourmenoit à un matin ses grand chevaux parmy les guerests::
La bergere montee, l'Asne suyvoit le cheval en ferme deliberation de bien repaistre advenans au logis. Le pallefrenier l'apperçeut et commanda aux garsons d'estable le traicter à la fourche, et l'esrener à coups de bastons. L'Asne entendant ce propos se recommanda au dieu Neptune, et commençoit à escamper du lieu à grand erre, pensant en soy-mesmes, et syllogisant: il dict bien aussi n'estre mon estat suyvre les cours des gros seigneurs: nature ne m'a produit que pour l'aide des pauvres gens. Esope m'en avoit bien adverty par un sien apoloigue: ce à esté outrecuidance à moy: remede n'y a que d'escamper d'huy, je dis plustost que ne sont cuictes asperges. Et l'Asne au trot, à peds, à bonds, à ruades, au gallot, à petarades. La bergere voyant l'Asne desloger dist au pallefrenier, qu'il estoit sien, et pria
Arrivé qu'il fut on le mena en l'estable pres du grand cheval, fut frotté, torchonné, estrillé, litiere fresche jusqu'au ventre, plain ratelier de foin, plaine mangoire d'avoine, laquelle quand les garsons d'estable cribloient, il leur chauvoit des aureilles, leurs signifiant qu'il ne la mangeroit que trop sans cribler, et que tant d'honneur ne luy appartenoit.
Quant ils eurent bien repeu, le cheval interroguoit l'asne, disant. Et puis pauvre baudet, et comment t'en va, que te semble de ce traitement? Encores n'y voulois tu pas venir. Qu'en dis tu? Par la figue, respondit l'asne, laquelle un de nos ancestres mangeant mourut, Philemon à force de rire, voicy basme monsieur le roussin. Mais quoy ce n'est que demie chere. Baudouynez vous rien ceans vous autres messieurs les che-?vaux Quel baudouynage me dis-tu baudet, demandoit le cheval, tes males avives baudet, me prens-tu pour un asne? ha ha, respondit l'asne, je suis un peu dur pour apprendre le langage courtisan des chevaux. Je demande, roussinez vous point ceans vous autres messieurs les roussins? parle bas baudet, dist le cheval: Car si les garsons t'entendent, à grands coups de fourche, ils te pelauderont si dru, qu'il ne te prendra volonté de baudouyner. Nous n'osons ceans seulement roidir le bout, voire fust-ce pour uriner, de peur des coups: du reste aises comme rois. Par l'aube du bas que je porte, dist l'asne, je te renonce, et dis fy de ta litiere, fy de ton foin, et fy de ton avoine: vivent les chardons des champs puis qu'à plaisir on y roussine, manger moins et tousjours roussiner son coup, est ma devise, de ce
A tant se teut Panurge, et plus mot ne sonnoit. Pantagruel admonestoit conclure le propos: Mais Aeditue respondit, à bon entendeur ne fault qu'une parolle. J'entends tresbien ce que par cest apologie de l'asne et du cheval voudriez dire et inferer, mais vous estes honteux Sachez qu'icy n'y a rien pour vous, n'en parlez plus. Si ay-je, dist Panurge, n'agueres icy veu une Abbegesse à blanc plumage, laquelle mieux vaudroit chevaucher que mener en main. Et si les autres sont dains oiseaux, elle me sembleroit daine oiselle. Je dis cointe et jolie, bien valant un peché ou deux. Dieu me le pardoint, partant je n'y pensois point en mal: le mal que j'y pense me puisse soudain advenir.
Réel
Hypothétique
Fictif
Mythique
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Région, contrée
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Bâtiment
Étendue, cours d'eau
Montagne, île, ...
Autre
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