Comment fut mu entre les fouaciers de Lerné et ceux du pays de Gargantua le grand débat, dont furent faites grosses guerres. Chapitre 25

En cettui temps qui fut la saison de vendanges au commencement d'automne, les bergers de la contrée

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étaient à garder les vignes, et empêcher que les étourneaux ne mangeassent les raisins.

Onquel temps les fouaciers de Lerné passaient le grand carroi menant dix ou douze charges de fouaces à la ville.

Lesdits bergers les requirent courtoisement leur en bailler pour leur argent, au prix du marché.

Car notez que c'est viande céleste manger à déjeuner raisins avec fouace fraîche, mêmement des pineaux, des fiers, des muscadeaux, de la bicane, et des foirards pour ceux qui sont constipés de ventre. Car ils les font aller long comme un vouge ; et souvent cuidant péter ils se conchient, dont sont nommés les cuiseurs des vendanges.

À leur requête ne furent aucunement enclines les fouaciers, mais (que pis est) les outragèrent grandement les appelant « Trop dieux, brèche-dents, plaisants rousseaux, galliers, chienlits, averlans, limes sourdes, fainéants,

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friandeaux, bustarins, talvassiers, rien-ne-vaux, rustres, chalands, happe-lopins, traine-gaines, gentils floquets, copieux, landorés, malotrus, dandins, baugeards, taisez gaubregeux, goguelus, claque-dents, boyers d'étrons , bergers de merde : et autres tels épithètes diffamatoires, ajoutant que point à eux n'appartenait manger de ces belles fouaces, mais qu'ils se devaient contenter de gros pain, balle, et de tourte.

Auquel outrage un d'entr'eux nommé Frogier, bien honnête homme de sa personne et notable bachelier, répondit doucement : « Depuis quand avez-vous pris cornes, qu'êtes tant rogues devenus ? Dea, vous nous en souliez volontiers bailler, et maintenant y refusez ? Ce n'est fait de bons voisins, et ainsi ne vous faisons-nous, quand venez ici acheter notre beau froment duquel vous faites vos gâteaux et fouaces : encore, par le marché, vous eussions-

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nous donné de nos raisins : mais par la mer Dé vous en pourriez repentir, et aurez quelque jour affaire de nous ; lors nous ferons envers vous à la pareille, et vous en souvienne ».

Adonc Marquet, grand bâtonnier de la confrérie des fouaciers, lui dit : « Vraiment, tu es bien acrêté à ce matin : tu mangeas hier soir trop de mil. Viens ça, viens ça, je te donnerai de ma fouace. Lors Frogier en toute simplesse approcha, tirant un onzain de son baudrier, pensant que Marquet lui dût dépêcher de ses fouaces, mais il lui bailla de son fouet à travers les jambes si rudement que les noeuds y apparaissaient : puis voulut gagner à la fuite : mais Frogier s'écria au meurtre et à la force tant qu'il put, ensemble lui jeta un gros tribard qu'il portait sous son aisselle, et l'atteint par la jointure coronale de la tête, sur l'artère crotaphique, du côté dextre : en telle sorte que Marquet tomba de sa jument : mieux semblait homme mort que vif.

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Cependant les métayers, qui là auprès écalaient les noix, accoururent avec leurs grandes gaules et frappèrent sur ces fouaciers comme sur seigle vert. Les autres bergers et bergères, oyant le cri de Frogier, y vinrent avec leurs frondes et brassiers, et les suivirent à grands coups de pierres, tant menu qu'il semblait que ce fût grêle. Finalement les aconçurent, et coûtèrent de leurs fouaces environ quatre ou cinq douzaines, toutefois ils les payèrent au prix accoutumé, et leurs donnèrent un cent de quecas et trois panerées de francs aubiers. Puis les fouaciers aidèrent à monter Marquet, qui était vilainement blessé. Et retournèrent à Lerné sans poursuivre le chemin de Pareille, menaçant fort et ferme les bouviers, bergers et métayers de Seuilly et de Sinais.

Ce fait, et bergers et bergères firent chère lie avec ces fouaces et beaux raisins, et se rigolèrent ensemble au son de la belle bouzine, se moquant de ces beaux fouaciers glorieux, qui avaient

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trouvé malencontre, par faute de s'être signés de la bonne main au matin. Et avec gros raisins chenins étuvèrent les jambes de Frogier mignonnement, si bien qu'il fut tantôt guéri.

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