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¶Comment le Moyne donne couraige a ses compaignons, et comment il pendit a une arbre. Chap. xl.

Or s’en vont les nobles champions a leurs adventures, bien deliberez d’entendre quelle rencontre fauldra poursuyvre, et de quoy se fauldra contregarder, quand viendra la journee de la grande et horrible bataille. Et le Moyne leur donne couraige, disant. Enfans n’ayez ny peur ny doubte. Je vous conduyray seurement. Dieu et sainct Benoist soient avecques nous. Si j’avoys la force de mesmes le couraige, par la mort bieu je vous les plumeroys comme un canart. Je ne crains rien fors l’artillerie. Toutesfoys je scay quelque oraison, que m’a baille le soubsecretain de nostre abbaye, laquelle guarentist la personne de toutes bouches a feu. Mais elle ne me profitera de rien, Car je n’y adjouste poinct de foy. Toutesfoys mon baston de croix fera diables. Par dieu, qui fera la cane de vous aultres, je me donne au diable si je ne le foys moyne en mon lieu, et l’enchevestre de mon froc. Il porte medicine a couhardise de gens. Avez point ouy parler du levrier de monsieur de Meurles, qui ne valoit rien pour les champs, il luy mist un froc au col, par le corps dieu il

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n’eschappoit ny lievre ny regnard davant luy. et que plus est: couvrit toutes les chiennes du pays, qui au paravant estoit esrene, et de frigidis et maleficiatis. Le Moyne disant ces parolles en cholere passa soubz un noyer tyrant vers la saullaye, et emprocha la visiere de son heaulme a la roupte d’une grosse branche du noyer. Ce non obstant donna fierement des esprons a son cheval/ lequel estoit chastouilleur a la poincte, en maniere que le cheval bondit en avant, et le Moyne voulant deffaire la visiere du croc, lasche la bride/ et de la main se pend aux branches: ce pendent que le cheval se desrobe dessoubz luy. Par ce moyen demoura le Moyne pendant au noyer, et criant a l’aide et au meurtre, protestant aussi de trahison. Eudemon premier l’aperceut, et appellant Gargantua dist. Sire venez et voyez Absalon pendu. Gargantua venu consydera la contenance du moyne: et la forme dont il pendoit, et dist a Eudemon. Vous avez mal rencontre le comparant a Absalon. Car Absalon se pendit par les cheveux, mais le moyne ras de teste s’est pendu par les aureilles. Aydez moy (dist le moyne) de par le diable. N’est il pas bien le temps de jazer? Vous me semblez les prescheurs decretalistes, qui disent que quiconques verra son prochain en dangier de mort, il le doibt sus peine
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d’excommunication trisulce plus toust admonnester de soy confesser et mettre en estat de grace, que de luy ayder. Quand doncques je les verray tombez en lariviere, et prestz d’estre noyez, en lieu de les aller querir et bailler la main, je leur feray un beau et long sermon de contentu mundi, et fuga seculi. et lors qu’ilz seront roides mors, je les iray pescher. Ne bouge (dist Gymnaste) mon mignon je te voys querir, car tu es gentil petit monachus. Monachus in claustro non valet ova duo, sed quando est extra bene valet triginta. J’ay veu des penduz, plus de cinq cens, mais je n’en veis oncques qui eust meilleure grace en pendilant, et si je l’avoys aussi bonne je vouldroys ainsi pendre toute ma vye. Aurez vous (dist le Moyne) tantost assez presche? Aidez moy de par dieu, puis que de par l’aultre ne voulez. Par l’habit que je porte vous en repentirez tempore et loco prelibatis. Allors descendit Gymnaste de son cheval, et montant au noyer souleva le moyne par les goussetz d’une main, et de l’autre deffist la visiere du croc de l’arbre, et ainsi le laissa tomber en terre, et soy apres. Descendu que feut le moyne se deffist de tout son arnoys, et getta l’une piece apres l’autre parmy le champ. et reprenant son baston de la croix remonta sus son cheval, lequel Eudemon avoit retenu a la fuyte.
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Ainsi s’en vont joyeusement tenans le chemin de la saullaye.

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