Des isles ou il n’y a point de femmes et comme quant les habitans du pays sont fort vieulx et ennuyez de vivre on les boute dedans ung grand tonneau plain de malvaisie doulce come seucre, et la meurent bien doulcement et comme apres qu’ilz sont mors l’on en refaict d’aultres jeunes gens. Chapitre. XXVII.

Es dictes isles n’y a point de femmes pour ce que l’on n’y en a que faire ny pour porter enfans ny pour tirer les vaches a cause dudict fleuve

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de laict et de la montaigne de beurre fraitz que y sont, ny pour faire vendanges, car il n’y a nulles vignes a cause des fleuves de vin qui passent parmy et tout atravers et du long du pays, depuis ung bout jusques a l’aultre.

Il y a d’advantaige es dictes isles une fontaine grande et merveilleuse, de la quelle sourd la malvaisie la plus friande et la plus exquise qui fut jamais beue.

Et quant les bonnes gens du pays sont si vielz qui sont ennuyez de vivre, l’on amply une pipe dudict vin qui est si doulx que rien plus, et les mect l’on mourir dedans affin qu’ilz ne sentent ny ne souffrent poinct de mal pour l’oudeur, pour la force, et pour la bonte dudict vin.

Et quant ilz sont mors on les retire, et puis on les faict seicher au soleil comme les merlus parez, ou comme la den ou l’estocfy en flandres, et apres qu’ilz sont bien secz on les faict brusler et mettre en cendre, laquelle on paistrit avec le blanc et glaire des oeufz et du broullamyny, lesquelz on malaxe tout ensemble comme paste, et quant tout cela est bien courroye et paistri ensemble, l’on en mect de gros loppins dedans des moules qui sont telz et semblables que ont aultres foys este iceulx deffunctz avant leur mort, et lors qu’ilz sont bien imprimes et

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bien formez pour leur inspirer vie.

l’on a ung gros chalumeau et leur souffle l’on au cul, et a force de souffler l’on leur inspire vie, et congnoist l’on que l’on a assez souffle, quant ilz siblent ou qu’ilz esternuent, et lors ilz se levent le cul devant comme les vaches, affin qu’ilz soient plus heureux.

Et incontinent ilz s’en vont la ou bon leur semble, comme ilz faisoient au paravant qu’ilz fussent mortz.

Il y en eust qui nous dirent qu’ilz avoient la este plus de cent foys mortz, et plus de cent foys ainsi este jectez en moulle, par ce moyen ilz sont perdurables et eternelz, et n’ont que faire de femmes au pays qui leur est ung grand bien, car ilz ne sont point tencez ny batus quant ilz jouent, ou qu’il vont en la taverne, comme sont souventesfoys d’aulcuns de par deca.

Il est bien vray que si aulcuns d’eulx veulent changer d’estat et vacation apres qu’ilz sont refondus ilz le peuvent faire pource que vous me pourriez demander, Capitaine qui leur fille du linge, des chemises, des draps, et des nappes, par dela.

Je vous respondz qu’il y a des arbres au pays desquelz les ungs portent l’escorce plus fine, plus blanche, plus belle et plus deliee que toutes les toilles

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ny tous les taffetas du monde, et usent de cela au lieu des dictes toilles ou taffetas, et quant ilz en ont affaire ilz ne font que escorcher iceulx arbres. Il y en a d’aultres desquelz l’escorce est fin velours, fin satin, ou fin damas, de toutes couleurs, desquelz chascun peut prendre tout ainsi qui luy plaist, et en faict ses habitz telz que bon luy semble, et quant iceulx arbres ont este ainsi escorches l’escorce leur revient de rechef, plus belle et plus fine qu’au paravant, par ce moyen ilz n’ont que faire de femmes pour porter enfans, pour filler, pour tirer les vaches, ny pour vendanger.

Je ne vous en vouldroye pas mentir car j’ay bons tesmoingtz assez en ma compaignie qui ont veu toutes ces choses come moy, et qui sont aussi dignes de croire come je suis. Je scay bien qu’il semblera a d’aulcunes gens qui n’ont rien veu que je mentz, mais je vous asseure pour verite qu’il est vray. Et pource croyez tout fermement que tout ce que je vous en rescriptz est fine pure verite, et qu’il soit ainsi qu’elle soit fine et pure, premier que la mettre au moulin apres qu’elle fut bien vannee je la fis cribler, Et apres qu’elle fut moulue et en farine, je la fis sacer, et puis beluter par deux foys. Au moyen de quoy il ne se peut faire qu’elle ne soit fine pure et nette, car s’il y eust eu tant soit peu de mensonge elle fust passee par le crible.

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Ou si elle eust este trop grosse elle fust demouree aux sacz ou aulx beluteaulx come vous pouvez bien croire et conjecturer par mes raisons qui sont vrayes et bien apparentes.

Or vous scavez qu’il y a au monde de aussi grands menteurs qu’en lieu ou vous scauriez aller, qui dient des choses qui ne sont pas vrayes semblables ny conformes a raison pour laquelle chose eviter et de peur de encourir l’indignation et la haine des gens de bien. Je me suis garde de dire la verite de plusieurs choses (Quia veritas odium parit) pource dient les clercs, que verite engendre haine, et aussi que pour dire verite l’on est aulcunesfoys pendu. A ceste cause je me en suis abstenu le plus que j’ay peu, pour eviter tous inconvenientz, par quoy si on ne me faict bien grand tort, je croy que l’on ne m’en pendra pas.

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