Comment Trouillogan Philosophe traicte la difficulté de mariage. Chapitre XXXV.

Ces parolles achevées, Pantagruel dist a Trouillogan le philosophe. Nostre feal, de main en main vous est la lampe baillée. C’est a vous maintenant de respondre. Panurge se doibt il marier, ou non? Tous les deux, respondit Trouillogan. Que me dictez vous? demanda Panurge. Ce que avez ouy, respondit

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logan. Que ay je ouy? demanda Panurge. Ce que j’ay dict, respondit Trouillogan. Ha. ha. En sommes nous la! dist Panurge, Passe sans fluz. Et doncques me doibz je marier ou non? Ne l’un ne l’aultre, respondit Trouillogan. Le Diable m’emport (dict Panurge) si je ne deviens resveur: et me puisse emporter, si je vous entends. Attendez: je mettray mes lunettes a ceste aureille guausche, pour vous ouyr plus clair.

En cestuy instant Pantagruel aperceut vers la porte de la salle le petit chien de Gargantua, lequel il nommoit Kyne, pource que tel fut le nom du chien de Thobie. Adoncques dist a toute la compaignie. Nostre Roy n’est pas loing d’icy: levons nous. Ce mot ne feut achevé, quand Gargantua entra dedans la salle du bancquet. Chascun se leva pour lui faire reverence. Gargantua ayant debonnairement salüé toute l’assistence, dist. Mes bons amys vous me ferez ce plaisir, je vous en prie, de non laisser ne vos lieux ne vos propous. Apportez moy a ce bout de table une chaire. Donnez moy que je boyve a toute la compaignie. Vous soyez les tresbien venuz.

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Ores me dictez. Sur quel propous estiez vous? Pantagruel luy respondit, que sus l’apport de la seconde table Panurge avoit propousé une matiere problematicque, a sçavoir s’il se doibvoit marier ou non? et que le pere Hippothadée et maistre Rondibilis estoient expediez de leurs responses: lors qu’il est entré respondoit le feal Trouillogan. Et premierement quand Panurge luy a demandé, me doibz je marier ou non? avoit respondu: Tous les deux ensemblement: a la seconde foys avoit dict: Ne l’un ne l’aultre. Panurge se complainct de telles repugnantes et contradictoires responses: et proteste n’y entendre rien. Je l’entends (dist Gargantua) en mon advis. La response est semblable a ce que dist un ancien philosophe interrogé s’il avoit quelque femme qu’on luy nommoit? Je l’ay (dist il) amie, mais elle ne me a mie. Je la possede, d’elle ne suys possedé. Pareille response (dist Pantagruel) feist une fantesque de Sparte. On luy demanda si jamais elle avoit eu affaire a home? Respondit que non jamais: bien que les homes quelques foys avoient eu affaire a elle. Ainsi (dist Rondibilis) mettons nous neutre en
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Medicine, et moyen en philosophie: par participation de l’une et l’aultre extremité: par abnegation de l’une et l’aultre extremité: et par compartiment du temps, maintenant en l’une, maintenant en l’aultre extremité. Le sainct Envoyé (dist Hippothadée) me semble l’avoir plus apertement declairé, quand il dict. Ceulx qui sont mariez, soient comme non mariez: ceulx qui ont femme, soient comme non ayans femme. Je interprete (dist Pantagruel) avoir et n’avoir femme en ceste façon: que femme avoir, est l’avoir a usaige tel que nature la créa, qui est pour l’ayde, esbatement, et societé de l’home: n’avoir femme, est ne soy apoiltronner au tour d’elle: pour elle ne contaminer celle unicque et supreme affection que doibt l’home a Dieu: ne laisser les offices qu’il doibt naturellement a sa patrie, a la Republicque, a ses amys: ne mettre en non chaloir ses estudes et negoces, pour continuellement a sa femme complaire. Prenant en ceste maniere avoir et n’avoir femme, je ne voids repugnance ne contradiction es termes.

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