Comment Panurge se conseille a Pantagruel pour sçavoir s’il se doibt marier. Chapitre IX.

Pantagruel rien ne replicquant, continua Panurge, et dist avecques un profond souspir. Seigneur vous avez ma deliberation entendue, qui est me marier, si de mal encontre n’estoient tous les trous fermez, clous, et bouclez: je vous supply par l’amour, que si long temps m’avez porté, dictez m’en vostre advis. Puis (respondit Pantagruel) qu’une foys en avez jecté le dez, et ainsi l’avez decreté, et prins en ferme deliberation, plus parler n’en fault, reste

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seulement la mettre a execution.

Voyre mais (dist Panurge) je ne la vouldrois executer sans vostre conseil et bon advis. J’en suis (respondit Pantagruel) d’advis, et vous le conseille. Mais (dist Panurge) si vous congnoissiez, que mon meilleur feust tel que je suys demeurer, sans entreprendre cas de nouvelleté, j’aymerois mieulx ne me marier poinct. Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel. Voire mais (dist Panurge) vouldriez vous qu’ainsi seulet je demeurasse tou te ma vie sans compaignie conjugale? Vous sçavez qu’il est escript, Veh soli. L’home seul n’a jamais tel soulas qu’on veoyd entre gens mariez. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si (dist Panurge) ma femme me faisoit coqu, comme vous sçavez qu’il en est grande année, ce seroit assez pour me faire trespasser hors les gonds de patience. J’ayme bien les coquz, et me semblent gens de bien, et les hante voluntiers: mais pour mourir je ne le vouldroys estre.

C’est un poinct qui trop me poingt. Poinct doncques ne vous mariez: (respondit Pantagruel) Car la sentence de Senecque est

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veritable hors toute exception. Ce qu’a aultruy tu auras faict, soys certain qu’aultruy te fera. Dictez vous, demanda Panurge, cela sans exception? Sans exception il le dict, respondit Pantagruel. Ho ho (dist Panurge) de par le petit diable. Il entend en ce monde, ou en l’aultre.

Voyre mais puis que de femme ne me peuz passer en plus qu’un aveugle de baston (Car il faut que le virolet trote, aultrement vivre ne sçauroys) n’est ce le mieulx que je me associe quelque honeste et preude femme, qu’ainsi changer de jour en jour avecques continuel dangier de quelque coup de baston, ou de la verolle pour le pire? Car femme de bien oncques ne me feut rien. Et n’en desplaise a leurs mariz. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, Dieu le vouloit, et advint que j’esposasse quelque femme de bien, et elle me batist, je seroys plus que tiercelet de Job, si je n’enrageois tout vif. Car l’on m’a dict, que ces tant femmes de bien ont communement maulvaise teste, aussi ont elles bon vinaigre en leur mesnaige. Je l’auroys encores pire, et luy

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batteroys tant et trestant sa petite oye, ce sont braz, jambes, teste, poulmon, foye, et ratelle: tant luy deschicqueterois ses habillemens a bastons rompuz, que le grand Diole en attendroit l’ame damnée a la porte. De ces tabus je me passerois bien pour ceste année, et content serois n’y entrer poinct. Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, estant en estat tel que je suis, quitte, et non marié. Notez que je diz quitte en la male heure. Car estant bien fort endebté, mes crediteurs ne seroient que trop soingneux de ma paternité. Mais quitte, et non marié, je n’ay personne qui tant de moy se souciast, et amour tel me portast, qu’on dict estre amour conjugal. Et si par cas tombois en maladie, traicté ne serois qu’au rebours. Le saige dict. La ou n’est femme, j’entends merefamiles, et en mariage legitime, le malade est en grand estrif. J’en ay veu claire experience en papes, legatz, cardinaulx, evesques, abbez, prieurs, presbstres, et moines. Or la jamais ne m’auriez. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

Mais si, dist Panurge, estant malade et

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impotent au debvoir de mariage, ma femme impatiente de ma langueur, a aultruy se abandonnoit, et non seulement ne me secourust au besoing, mais aussi se mocquast de ma calamité, et (que pis est) me desrobast, comme j’ay veu souvent advenir: ce seroit pour m’achever de paindre, et courir les champs en pourpoinct. Poinct doncques ne vous mariez, respondit Pantagruel.

Voire mais, dist Panurge, je n’aurois jamais aultrement filz ne filles legitimes, es quelz j’eusse espoir mon nom et armes perpetuer: es quelz je puisse laisser mes heritaiges et acquestz, (j’en feray de beaulx un de ces matins, n’en doubtez, et d’abondant seray grand retireur de rantes) avecques les quelz je me puisse esbaudir, quand d’ailleurs serois meshaigné, comme je voys journellement vostre tant bening et debonnaire pere faire avecques vous, et font tous gens de bien en leur serrail et privé. Car quitte estant, marié non estant, estant par accident fasché, en lieu de me consoler, advis m’est que de mon mal riez. Mariez vous doncq de par Dieu, respondit Pantagruel.

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