Comment la braguette est premiere piece de harnois entre gens de guerre. Chapitre VIII.

Voulez vous, dist Pantagruel, maintenir que la braguette est piece premiere de harnois militaire? C’est doctrine moult paradoxe et nouvelle. Car nous disons que par esprons on commence soy armer. Je le maintiens respondit Panurge : et non a tord je le maintiens. Voyez comment nature voulant les plantes, arbres, arbrisseaulx, herbes, et Zoophytes une fois par elle créez, perpetuer et durer en toute succession de temps, sans jamais

Page 32
deperir les especes, encores que les individuz perissent, curieusement arma leurs germes et semences, es quelles consiste icelle perpetuité, et les a muniz et couvers par admirable industrie de gousses, vagines, testz, noyaulx, calicules, coques, espiz, pappes, escorces, echines poignans: qui leurs sont comme belles et fortes braguettes naturelles. L’exemple y est manifeste en Poix, Febves, Faseolz, Noix, Alberges, Cotton, Colocynthes, Bleds, Pavot, Citrons, Chastaignes: toutes plantes generalement. Es quelles voyons apertement le germe et la semence plus estre couverte, munie, et armée, qu’autre partie d’i celles. Ainsi ne pourveut nature a la perpetuité de l’humain genre. Ains crea l’home nud, tendre, fragile, sans armes ne offensives, ne defensives, en estat d’innocence et premier aage d’or, comme animant, non plante: comme animant (diz je) né a paix non a guerre: animant né a jouissance mirificque de tous fruictz et plantes vegetables, animant né a domination pacificque sus toutes bestes. Advenent la multiplication de malice entre les humains en succession de l’aage de fer, et regne de Juppiter
Page [32v]
la terre commença a produire Orties, Chardons, Espines, et telle autre maniere de rebellion contre l’home entre les vegetables: d’autre part, presque tous animaulx par fatale disposition se emanciperent de luy, et ensemble tacitement conspirerent plus ne le servir, plus ne luy obeir, en tant que resister pourroient, mais luy nuire scelon leur faculté et puissance. L’home adoncques voulant sa premiere jouissance maintenir et sa premiere domination continuer: non aussi povant soy commodement passer du service de plusieurs animaulx, eut necessité soy armer de nouveau. Par la dive Oye guenet (s’escria Pantagruel) depuys les dernieres pluyes tu es devenu grand lifrelofre, voyre dis je Philosophe.

Considerez (dist Panurge) comment nature l’inspira soy armer, et quelle partie de son corps il commença premier armer. Ce feut (par la vertus Dieu) la couille, et le bon messer Priapus, quand eut faict ne la pria plus. Ainsi nous le tesmoigne le capitaine et philosophe Hebrieu Moses, affermant qu’il se arma d’une brave et gualante braguette, faicte par moult belle invention de

Page 33
feueilles de figuier: lesquelles sont naïfves, et du tout commodes en dureté, incisure, frizure, polissure, grandeur, couleur, odeur, vertus, et faculté pour couvrir et armer couilles: Exceptez moy les horrificques couilles de Lorraine, les quelles a bride avalée descendent au fond des chausses, abhorrent le mannoir des braguettes haultaines: et sont hors toute methode: tesmoing Viardiere le noble Valentin, lequel un premier jour de May pour plus guorgias estre, je trouvay a Nancy descrotant ses couilles extendues sus une table comme une cappe a l’Hespaignole. Doncques ne fauldra dorenavant dire, qui ne vouldra improprement parler, quand on envoyra le franc taulpin en guerre, Saulve Tevot le pot au vin, c’est le cruon. Il faut dire, Saulve Tevot le pot au laict, ce sont les couilles: de par tous les diables d’enfer. La teste perdue, ne perist que la persone: les couilles perdues, periroit toute humaine nature. C’est ce que meut le gualant. lib. I. de spermate, a bravement conclure, que mieulx (c’est a dire moindre mal) seroit, poinct de coeur n’avoir, que poinct n’avoir de genitoires.
Page [33v]
Car la consiste comme en un sacré repositoire le germe conservatif de l’humain lignage. Et croieroys pour moins de cent francs, que ce sont les propres pierres, moyenans les quelles Deucalion et Pyrrha restituerent le genre humain aboly par le deluge Poëtique. C’est ce qui meut le vaillant Justinian lib. 4. de cagotis tollendis, a mettre summum bonum in braguibus et braguetis.

Pour ceste et aultres causes le seigneur de Merville essayant quelque jour un harnoys neuf, pour suyvre son Roy en guerre, (car du sien antique et a demy rouillé plus bien servir ne se povoit, a cause que depuys certaines années la peau de son ventre s’estoit beaucoup esloingnée des roignons) sa femme consydera en esprit contemplatif, que peu de soing avoit du pacquet et baston commun de leur mariage, veu qu’il ne l’armoit que de mailles, et feut d’advis qu’il le munist tresbien et gabionnast d’un gros armet de joustes, lequel estoit en son cabinet inutile. D’icelle sont escriptz ces vers on tiers livre du Chiabrena des pucelles.
Celle qui veid son mary tout armé,

Page 34

Fors la braguette aller a l’escarmouche,
Luy dist. Amy, de paour qu’on ne vous touche,
Armez cela, qui est le plus aymé.
Quoy? tel conseil doibt il estre blasmé?
Je diz que non: Car sa paour la plus grande
De perdre estoit, le voyant animé,
Le bon morceau, dont elle estoit friande.
Desistez doncques, vous esbahir de ce nouveau mien acoustrement.

Réel    Hypothétique    Fictif    Mythique   
Région, contrée    Ville, village    Bâtiment    Étendue, cours d'eau    Montagne, île, ...    Autre