Comment Panurge prend conseil de Epistemon Chapitre XXIIII.

Laissans la Villaumere, et retournans vers Pantagruel, par le chemin Panurge s’adressa a Epistemon, et luy dist. Compere mon antique amy, vous voyez la perplexité de mon esprit. Vous sçavez tant de bons remedes. Me sçauriez vous secourir? Epistemon print le propous, et remonstroit a Panurge comment la voix publicque estoit toute consommée en mocqueries de son desguisement: et luy conseilloit prendre quelque peu de Ellebore, affin de purger cestuy humeur en luy peccant, et reprendre ses accoustremens ordinaires. Je suys (dist Panurge) Epistemon mon compere,

Page [79v]
en phantasie de me marier. Mais je crains estre coqu et infortuné en mon mariage. Pourtant ay je faict veu a sainct François le jeune, lequel est au Plessis lez Tours reclamé de toutes femmes en grande devotion (car il est premier fondateur des bons homes, lesquelz elles appetent naturellement) porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chausses, que sus ceste mienne perplexité d’esprit je n’aye eu resolution aperte. C’est (dist Epistemon) vrayement un beau et joyeulx veu. Je me esbahys de vous, que ne retournez a vous mesmes, et que ne revocquez vos sens de ce farouche esguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez souvenir du veu des Argives a la large perrucque, les quelz ayans perdu la bataille contre les Lacedaemoniens en la controverse de Tyrée, feirent veu cheveulx en teste ne porter, jusques a ce qu’ilz eussent recouvert leur honneur et leur terre: du veu aussi du plaisant Hespaignol Michel Doris, qui porta le trançon de greve en sa jambe. Et ne sçay lequel des deux seroit plus digne et meritant porter chapperon verd et jausne
Page 80
a aureilles de lievre, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant qui en faict le tant long, curieux, et fascheux compte, oubliant l’art et maniere d’escrire histoires, baillée par le philosophe Samosatoys. Car lisant icelluy long narré, lon pense que doibve estre commencement, et occasion de quelque forte guerre, ou insigne mutation des Royaulmes: mais en fin de compte on se mocque et du benoist champion, et de l’Angloys qui le deffia, et de Enguerrant leur tabellion plus baveux qu’un pot a moustarde. La mocquerie est telle que de la montaigne d’ Horace, laquelle crioyt et lamentoyt enormement, comme femme en travail d’enfant. A son cris et lamentation accourut tout le voisinaige en expectation de veoir quelque admirable et monstrueux enfantement, mais en fin ne nasquit d’elle qu’une petite souriz.

Non pourtant (dist Panurge) je m’en soubrys. Se mocque qui clocque. Ainsi feray comme porte mon veu. Or long temps a que avons ensemble vous et moy, foy et amitié jurée, par Juppiter Philios, dictez m’en vostre advis. Me doibz je marier, ou non? Certes (respondit Epistemon) le cas

Page [80v]
est hazardeux, je me sens par trop insuffisant a la resolution. Et si jamais feut vray en l’art de medicine le dict du vieil Hippocrates de Lango, JUGEMENT DIFFICILE, il est en cestuy endroict verissime. J’ay bien en imagination quelques discours moienans les quelz nous aurions determination sus vostre perplexité. Mais ilz ne me satisfont poinct apertement. Aulcuns Platonicques disent que qui peut veoir son Genius, peut entendre ses destinées. Je ne comprens pas bien leur discipline, et ne suys d’advis que y adhaerez. Il y a de l’abus beaucoup. J’en ay veu l’experience en un gentil home studieux et curieux on pays d’ Estangourre. C’est le poinct premier. Un aultre y a. Si encores regnoient les oracles de Juppiter en Amon : de Apollo en Lebadie, Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneste, Lycie, Colophon : en la fontaine Castalliefontaine CastallieCastallie pres Antioche en Syrie : entre les Branchides: de Bacchus, en Dodone : de Mercure, en Phares pres Patras : de Apis, en AEgypte : de Serapis, en Canobe : de Faunus, en Maenalie et en Albunée AlbunéeAlbunée pres Tivoli : de Tyresias, en Orchomene : de Mopsus, en Cilicie :
Page 81
de Orpheus, en Lesbos : de Trophonius, en Leucadie. Je seroys d’advis (paradvanture non seroys) y aller et entendre quel seroit leur jugement sus vostre entreprinse. Mais vous sçavez que tous sont devenuz plus mutz que poissons, depuys la venue de celluy Roy servateur on quel ont prins fin tous oracles et toutes propheties: comme advenente la lumiere du clair Soleil disparent tous Lutins, Lamies, Lemures, Guaroux, Farfadetz, et Tenebrions. Ores toutesfoys qu’encores feussent en regne, ne conseilleroys je facillement adjouster foy a leurs responses. Trop de gens y ont esté trompez. D’adventaige je me recorde que Agripine mist sus a Lollie la belle, avoir interrogué l’oracle de Apollo Clarius pour entendre si mariée elle seroit avecques Claudius l’empereur. Pour ceste cause feut premierement banie, et depuys a mort ignominieusement mise.

Mais (dist Panurge) faisons mieulx. Les isles Ogygies ne sont loing du port Sammaloport SammaloSammalo, faisons y un voyage apres qu’aurons parlé a nostre Roy. En l’une des quatre, laquelle plus a son aspect vers Soleil

Page [81v]
couchant, on dict, je l’ay leu en bons et antiques autheurs, habiter plusieurs divinateurs, vaticinateurs, et prophetes: y estre Saturne lié de belles chaines d’or, dedans une roche d’or, alimenté de Ambrosie et Nectar divin, les quelz journellement luy sont des cieulx transmis en abondance par ne sçay quelle espece d’oizeaulx (peut estre que sont les mesmes Corbeaulx, qui alimentoient es desers sainct Paul premier hermite) et apertement praedire a un chascun qui veult entendre son sort, sa destinée, et ce que luy doibt advenir. Car les Parces rien ne fillent, Juppiter rien ne propense et rien ne delibere, que le bon pere en dormant ne congnoisse. Ce nous seroit grande abbreviation de labeur, si nous le oyons un peu sus ceste mienne perplexité. C’est (respondit Epistemon) abus trop evident, et fable trop fabuleuse. Je ne iray pas.

Réel    Hypothétique    Fictif    Mythique   
Région, contrée    Ville, village    Bâtiment    Étendue, cours d'eau    Montagne, île, ...    Autre