Page Fu.2.

Prologe de L'auteur.

Beuveurs tresillustres, et vous Verolez tresprecieux (car a vous non a aultres sont dediez mes escriptz) Alcibiades ou dialoge de Platon, intitule, Le bancquet, louant son precepteur Socrates, sans controverse prince des philosophes: entre aultres parolles le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoient jadis petites boites telles que voyons de present es bouticques des apothecaires pinctes au dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de Harpies, Satyres, oysons bridez, lievres cornuz, canes bastees, boucqs volans,

Page [2v]
cerfz limonniers, et aultres telles pinctures contrefaictes a plaisir pour exciter le monde a rire, Quel fut Silene maistre du bon Bacchus : mais au dedans l'on reservoit les fines drogues, comme Baulme, Ambre gris, Amomon, Musc, zivette, pierreries: et aultres choses precieuses. Tel disoit estre Socrates : par ce que le voyans au dehors, et l'estimans par l'exteriore apparence, n'en eussiez donne un coupeau d'oignon: tant laid il estoit de corps et ridicule en son maintien, le nez pointu, le reguard d'un taureau: le visaige d'un fol: simple en meurs rustiq en vestimens, pauvre de fortune, infortune en femmes, inepte a tous offices de la republique, tousjours riant, tousjours beuvant d'autant a un chascun, tousjours se guabelant, tousjours dissimulant son divin scavoir, Mais ouvrans ceste boyte: eussiez au dedans trouve une celeste et impreciable drogue entendement plus que humain, vertus merveilleuse, couraige invincible, sobresse
Page Fu.3.
non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, deprisement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, travaillent navigent et bataillent.

A quel propos, en vostre advis, tend ce prelude, et coup d'essay? Par autant que vous mes bons disciples, et quelques aultres foulz de sejour lisans les joyeux tiltres d'aulcuns livres de nostre invention comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La dignite des braguettes, Des poys au lard cum commento etc. jugez trop facillement ne estre au dedans traicte que mocqueries, folateries, et menteries joyeuses: veu que l'ensigne exteriore (c'est le tiltre) sans plus avant enquerir, est communement receue a derision et gaudisserie. Mais par telle legierete ne convient estimer les oeuvres des humains. Car vous mesmes dictes, que l'habit ne faict poinct le moine: et tel est vestu d'habit monachal, qui au dedans n'est rien moins que moyne: et tel est vestu de cappe hespanole,

Page [3v]
qui en son couraige nullement affiert a hespane, C'est pourquoy fault ouvrir le livre: et soigneusement peser ce que y est deduict. Lors congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d'aultre valeur, que ne promettoit la boite. C'est a dire que les matieres icy traictees ne sont tant folastres, comme le tiltre au dessus pretendoit.

Et pose le cas, qu'au sens literal vous trouvez matieres assez joyeuses et bien correspondentes au nom, toutesfois pas demourer la ne fault, comme au chant des Sirenes: ains a plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en gayete de cueur.

Crochetastes vous oncques bouteilles? Caisgne. Reduisez a memoire la contenence qu'aviez. Mais veistes vous oncques chien rencontrant quelque os medulare? C'est comme dict Platon. lib. ij. de rep. la beste du monde plus philosophe. Si veu l'avez: vous avez peu noter de quelle devotion il le guette: de quel

Page Fu.4.
soing il le guarde: de quel ferveur il le tient, de quelle prudence il l'entomme: de quelle affection il le brise: et de quelle diligence il le sugce: Qui le induict a ce faire? Quel est l'espoir de son estude? quel bien pretend il? Rien plus q'un peu de mouelle. Vray est que ce peu, plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres: pource que la mouelle est aliment elaboure a perfection de nature, comme dict Galen. iij. facu. natural. et. xj. de usu parti.

A l'exemple d'icelluy vous convient estre saiges pour fleurer, sentir, et estimer ces beaulx livres de haulte gresse, legiers au prochaz: et hardiz a la rencontre. Puis par curieuse lecon, et meditation frequente rompre l'os, et sugcer la sustantificque mouelle. C'est a dire: ce que j'entends par ces symboles Pythagoricques avecques espoir certain d'estre faictz escors et preux a ladicte lecture. Car en icelle bien aultre goust trouverez, et doctrine plus absconce, laquelle vous revelera de treshaultz sacremens et mysteres horrificques, tant en

Page [4v]
ce que concerne nostre religion, que aussi l'estat politicq et vie oeconomicque.

Croiez vous en vostre foy qu'oncques Homere escrivent L'iliade et Odyssee, pensast es allegories, lesquelles de luy ont calfrete Plutarche, Heraclides Ponticq, Eustatie, Phornute : et ce que d'iceulx Politian a desrobe? Si le croiez: vous n'approchez ne de pieds ne de mains a mon opinion: qui decrete icelles aussi peu avoir este songees d' Homere, que d' Ovide en ses Metamorphoses, les sacremens de l'evangile: lesquelz un frere Lubin vray croquelardon s'est efforce demonstrer, si d'adventure il rencontroit gens aussi folz que luy: et (comme dict le proverbe) couvercle digne du chaudron.

Si ne le croiez: quelle cause est, pour quoy autant n'en ferez de ces joyeuses et nouvelles chronicques? Combien que les dictant n'y pensasse en plus que vous qui paradventure beviez comme moy. Car a la composition de ce livre

Page Fu.5.
seigneurial, je ne perdiz ne emploiay oncques plus ny aultre temps, que celluy qui estoit estably a prendre ma refection corporelle: scavoir est, beuvant et mangeant. Aussi est cela juste heure, d'escrire ces haultes matieres et sciences profundes. Comme bien faire scavoit Homere paragon de tous Philologes, et Ennie pere des poetes latins, ainsi que tesmoigne Horace, quoy q'un malautru ait dict, que ses carmes sentoyent plus le vin que l'huile.

Autant en dict un Tirelupin de mes livres, mais bren pour luy. L'odeur du vin o combien plus est friant, riant, priant, plus celeste, et delicieux que d'huille? Et prendray autant a gloire qu'on die de moy, que plus en vin aye despendu que en huyle, que fist Demosthenes, quand de luy on disoit, que plus en huyle que en vin despendoit. A moy n'est que honneur et gloire, d'estre dict et repute bon gaultier et bon compaignon: et en ce nom suis bien venu en toutes bonnes

Page [5v]
compaignies de Pantagruelistes: a Demosthenes fut reproche par un chagrin que ses oraisons sentoient comme la serpilliere d'un ord et sale huillier. Pourtant interpretez tous mes faictz et mes dictz en la perfectissime partie, ayez en reverence le cerveau caseiforme qui vous paist de ces belles billes vezees, et a vostre povoir tenez moy tousjours joyeux.

Or esbaudissez vous mes amours, et guayement lisez le reste tout a l'aise du corps, et au profit des reins. Mais escoutez vietz d'azes, que le maulubec vous trousque: vous soubvienne de boyre a my pour la pareille: et je vous plegeray tout ares metys.

Réel    Hypothétique    Fictif    Mythique   
Région, contrée    Ville, village    Bâtiment    Étendue, cours d'eau    Montagne, île, ...    Autre