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¶De la genealogie et antiquité de Gargantua Chapitre. i.

Je vous remectz a la grande chronicque Pantagrueline recongnoistre la genealogie et antiquitè, dont nous est venu Gargantua. En icelle vous entendrez plus au long comment les geans nasquirent en ce monde: et comment d’iceulx par lignes directes yssit Gargantua pere de Pantagruel : et ne vous faschera, si pour le present je m’en deporte. Combien que la chose soit telle: que tant plus seroit remembree, tant plus elle plairoit a vos seigneuries: comme vous avez l’autorité de Flacce, qui dict estre aulcuns propos, telz que ceulx cy, qui plus sont delectables, quand plus souvent sont redictz. Pleust a dieu q’un chascun sceust aussi certainement sa genealogie, depuis l’arche de Noë jusques a cest eage. Je pense que plusieurs sont aujourdhuy empereurs, roys, ducz, princes, et papes, en la terre, lesquelz sont descenduz de quelques porteurs de rogatons et de coustretz. Comme au rebours plusieurs sont gueux de l’hostiaire, souffreteux, et miserables: lesquelz sont descenduz de sang et ligne de grandz roys et empereurs: attendu l’admirable transport des regnes et empires: des Assyriens es Medes, des Medes es Perses, des Perses es Macedones, des Macedones es

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Romains, des Romains es Grecz, des Grecz es Francoys. Et pour vous donner a entendre de moy qui parle, je cuyde que soye descendu de quelque riche roy ou prince on temps jadis. Car oncques ne veistes homme, qui eust plus grande affection d’estre roy et riche que moy: affin de faire grand chere et pas ne travailler, et bien enrichir mes amis et tous gens de bien et de scavoir. Mais en ce je me reconforte que en l’aultre monde je le seray: voyre plus grand que de present ne l’auseroye soubhaiter. Vous en telle ou meilleure pensee reconfortez vostre malheur, et beuvez fraiz si faire ce peut. Retournant a nos moutons, je vous diz que par un don souverain de dieu nous a esté reservee l’antiquité et genealogie de Gargantua, plus entiere que nulle aultre. de dieu je ne parle, car il ne me appartient, aussy les diables (ce sont les caffars) se y opposent. Et fut trouvee par Jean Audeau, en un prè qu’il avoit pres l’arceau gualeau au dessoubz de L’olive, tirant a Narsay. Duquel faisant lever les fossez, toucherent les piocheurs de leurs marres, un grand tombeau de bronze long sans mesure: car oncques n’en trouverent le bout, par ce qu’il entroit trop avant les excluses de Vienne. Icelluy ouvrans en certain lieu signé au dessus d’un goubelet, a lentour du quel estoit escript en letres Ethrusques.
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HIC BIBITUR, trouverent neuf flaccons en tel ordre qu’on assiet les quilles en Guascoigne. Des quelz celluy qui on my lieu estoit, couvroit un gros/ gras grand/ gris/ joly/ petit/ moisy/ livret, plus mais non mieux sentent que roses. En icelluy fut la dicte genealogie trouvee escripte au long, de letres cancelleresques, non en papier, non en parchemin, non en cere: mais en escorce D’ulmeau, tant toutesfoys usees par vetustè, qu’a poine en povoit on trois recongnoistre de ranc. Je (combien que indigne) y fuz appellé: et a grand renfort de bezicles practicant l’art dont on peut lire lettres non apparentes, come enseigne Aristotele, la translatay, ainsi que veoir pourrez en Pantagruelisants, c’est a dire, beuvants a gré, et lisants les gestes horrificques de Pantagruel. A la fin du livre estoit un petit traictè/ intitulè, Les Fanfreluches antidotees. Les ratz et blattes ou (affin que je ne mente) aultres malignes bestes avoient brousté le commencement, le reste j’ay cy dessoubz adjousté, par reverence de l’antiquaille.

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