¶Comment feist meu entre les fouaciers de Lerne, et ceulx du pays de Gargantua le grand debat, dont furent faictes grosses guerres. Chap. xxiii.

En cestuy temps, qui feut la saison de vendanges on commencement de Automne, les bergiers de la contree estoient a guarder les vignes, et empescher que les estourneaux ne mangeassent les raisins.

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En quel temps les fouaciers de Lerne passoient le grand quarroy menans dix ou douze charges de fouaces a la ville. Lesdictz bergiers les requirent courtoisement leurs en bailler pour leur argent au pris du marche. Car notez que c’est viande celeste, manger a desjeuner des raisins avecq la fouace fraiche, mesmement des pineaulx, des fiers, des muscadeaux, de la bicane, et des foyrars pour ceulx qui sont constipez de ventre. Car ilz les font aller long comme un vouge: et souvent cuydans peter ilz se conchient, dont sont nommez les cuidez de vendanges. A leur requeste ne feurent aulcunement enclinez, les fouaciers, mais (que pys est) les oultragerent grandement en les appellant, Tropditeulx, Breschedens, Plaisansrousseaulx, Galliers, Riennevaulx, Rustres, Challans, Hapelopins, Trainegaines, gentilz Floquetz, copieux, Landores, Malotruz, Dendins, Baugears, Tezez, Gaubregeux, Gogueluz, Clacledens, Boyers d’etrons. Bergiers de merde, et aultres telz epithetes diffamatoyres, adjoustans que poinct a eulx n’apartenoit manger de ces belles fouaces: mais qu’ilz se debvoient contenter de gros pain balle, et de tourte. Auquel oultraige un d’entr’eulx nomme Frogier, bien honeste homme de sa personne, et notable bacchelier respondit doulcettement. Depuis quand avez vous prins les cornes, qu’estez tant
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rogues devenuz? Dea vous nous en soulliez volentiers bailler, et maintenant y refussez? Ce n’est pas faict de bons voisins, et ainsi ne vous faisons nous, quand vous venez icy achapter nostre beau froment: dont vous faictes vos gasteaux et fouaces: encores par le marche, vous eussions nous donne de nos raisins. mais par la mer de vous en pourriez repentir, et aurez quelque jour affaire de nous, lors nous ferons envers vous a la pareille, et vous en soubveigne Adoncq Marquet grand bastonnier de la confrarie des fouaciers, luy dist. Vrayement tu es bien acreste a ce matin: tu mengeas arsoir trop de mil. vien cza/ vien cza, je te donneray de ma fouace. Lors Forgier en toute simplesse aprochea tyrant un unzain de son baudrier: pensant que Marquet luy deust deposcher de ses fouaces, mais il luy bailla de son fouet a travers les jambes si rudement que les nouz y apparoissoient: puis voulut gaigner a la fuyte: mais Forgier s’escrya, au meurtre, et a la force tant qu’il peut, ensemble luy getta un gros tribard qu’il portoit soubz son escelle, et le attainct par la joincture coronale de la teste, sur l’artere crotaphique, du couste dextre: en sorte que Marquet tombit de dessus sa jument, mieulx semblant un homme mort que vif. Ce pendent les mestaiers, qui la aupres challoient les noiz, accoururent
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avec leurs grandes gaules et fraperent sus ces fouaciers comme sus seigle verd. Les aultres bergiers et bergieres, ouyans le cry de Forgier, y vindrent avec leurs fondes et brassiers, et les suyverent a grands coups de pierres tant menuz qu’il sembloit que ce feust gresle. Finablement les aconpceurent, et housterent de leurs fouaces environ quatre ou cinq douzaines, toutesfoys ilz les payerent au pris acoustume, et leurs donnerent un cent de quecas, et troys panerees de francs aubiers. Ce faict les fouaciers ayderent a monter Marquet, qui estoit villainnement blesse, et s’en retournerent a Lerne sans poursuyvre le chemin de Parille : menassans fort et ferme les boviers bergiers/ et mestaiers de Seuille et de Synays. Ce faict et bergiers et bergieres feirent chere lye avecques ces fouaces et beaulx raisins/ et se rigollerent en semble au son de la belle bouzine: se mocquans de ces beaux fouaciers glorieux, qui avoient trouve male encontre, par faulte de s’estre seignez de la bonne main au matin. Et avec gros raisins chenins estuverent les jambes de Forgier mignonnement, si bien qu’il feut tantost guery.

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