Comme Panurge navigua tant qu’il trouva une montaigne de beurre frayz, et au pres d’icelle ung fleuve de laict portant bateau. Chapitre XVIII.
Apres les grandes et diverses infortunes que nous avions portees et souffertes ignorans en quelle terre et contree nous nous debvions retirer pour estre asseures et quittes d’adversitez par cas fortuit nous arrivasmes come dieu le voulut es
Car en icelles isles entre les aultres choses dignes de memoire il y a une grande et excessive montaigne toute de beurre frais, le plus beau et le meilleur de quoy jamais homme goustast, la quelle est commune a tous ceulx et celles qui en veulent prendre, je ne la vouldroye pas enseigner aux flamans. car combien qu’elle soit grande je croy qu’ilz la mettroyent a fin.
Du pied d’icelle montaigne sourd ung grand fleuve tout de laict, portant bateau comme la
Du long d’icelluy fleuve vers soleil levant, il y a une aulte et merveilleuse montaigne de bien cinquante lieues de long toute de farine, aussi blanche comme belle neige, ou comme vous pourriez dire le fin sablon d’estampes, la quelle est commune a tout le monde. Il en prend qui veult, elle ne couste que a bouter dens le sac.
En ycelluy fleuve croissoient les andouilles salees toutes fraisches, de la longueur de quarante ou cinquante toises du moins, les meileures que jamais homme mangeast, mais il les fault faire cuire avec lesdictz poys qui les veult trouver bonnes, elles n’ont nulz os non plus que celles de milan, et sont ainsi fermes et solides.
Nous en amplismes le bas de nostre navire, et les coupasmes par troncons, de la longueur de chevrons, que nous entassames les ungs sur les aultres comme buches de moule, les troncons sont plus gros que une grosse tonne a harancz soretz.
Mais que nous faisions nostre festin et banquet joyeulx, si vous plaist de vous y trouver nous vous en donnerons.
Sur la rive d’icelluy fleuve, il y a de grandz arbres qui sont vers en tous temps, comme sont
Quant l’on en veult manger il ne les fault que escosser comme l’on feroit febves, nous en fismes bonne provision d’escossez et a escosser pour ce que nous ne scavions ou nous nous pourrions trouver.
Audict fleuve de laict il y a des anguilles, des lamprois, et des gongres qui ont bien une grande lieue de long, aussi blanches come belle neige.
Je fis mettre une saulcisse a ung gros hain, avec une corde que je fis jecter audict fleuve, mais il vint incontinent une anguille longue de plus de mille toises, qui avala hain et saulcisse, par quoy elle demoura prinse et accrochee, mais il nous falut avoir ung cabesten pour la tirer hors de l’eau et du fleuve.
Et pour ce faire nous fusmes tous empeschez et ne la cuidasmes jamais tirer.
Quant elle fut hors, je la fis escorcher, et en fis seicher la peau au soleil, et d’une partie je
De l’aultre partie mes gens feirent faire des hallecretz, et des manteaulx, et des cappes a l’espaignole, et en furent tous revestus et chaussez, dont bien nous print, car nous en avions tous bon besoing.
Sur lesdictz fleuvez n’y avoit aulcuns moulins a vent, ny a eaue, car les habitans du pays n’en ont que faire a cause de ladicte montaigne de farine, en descendant vers la mer du long d’iceulx fleuves, tant de laict que de poys coulez au lard.
Nous trouvasmes une belle et grande champaigne la ou ceulx du pays plantent les oeufz a la houe, comme l’on faict les febves en France avec une cerfouette.
Lesquelz oeufz germent en la terre, et jectent une tige haulte de plus d’une lance, laquelle produict des cosses longues d’une toyse, et y a en chascune cosse trente ou quarante oeufz du moins.
Desquelz ceulx du pays vivent, car ilz n’ont poinct d’aultre fruict que lesdictz oeufz, lesquelz sont plus gros sans comparaison que les oeufz d’une oye, et sont fort bons et de bonne digestion, et
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