Page [7v]

Comme Panurge estant sus la mer aperceust ung navire aussi grand ou plus que la ville de Paris. Chapitre IIII.

Or pource que souvent quant l’on est sorty d’ung peril on chet en ung plus grand et plus dangereux que le precedent.

Comme nous pensions bien estre quittes et asseures de toutes fortunes et adversitez et nous retirer sans peril au lieu dont nous estions partis.

Il advint comme nous eussions faict voelle et leve noz appareilz lesquelz avoient este abatus pour eviter le danger auquel nous avions este au paravant.

En retournant nous veismes devant nous en la mer une naef si grande et si merveilleuse que nous pensions que ce fust une bonne ville aussi grande

Page 8
ou plus que Paris dedans laquelle estoit ung geant si grand et si horrible qu’il donnoit peur et crainte merveilleuse a tous ceulx qui le veoient lequel se nommoit Bringuenarilles, duquel plusieurs gens ont aultresfoys ouy parler.

Il estoit de si grande et si admirable aulteur, grosseur, et largeur, qu’il avoit plus en une jambe que les laquetz de Gargantua et Pantagruel desquelz vous avez veu les hystoires n’avoient en tout le corps.

Il avoit les artailz des piedz plus gros sans comparaison que n’est la grosse tour du boys de vincene, et le residu de tout le corps proportionne a l’equipolent.

Le navire auquel il estoit, estoit l’arche du deluge que noe janus feit faire pour soy saulver le temps passe luy: et ses enfans, lequel il avoit faict radouber et calfeutrer tout de neuf comme il apparoissoit encore.

Il mangeoit a chascun repas plus que cinq cens mille hommes.

Il se escheut une foys qu’il rencontra une naef dedans laquelle il y avoit plus de cinq cens tonneaulx de harancz de marque mais il la degloutit devora et cassa avec les dens et l’avalla tout nect sans mascher avec les mariniers qui estoient

Page [8v]
dedans sans que aulcun se peut jamais saulver.

Mais apres cela il eust si grand soif qu’il rencontra ung navire charge de douze cens tonneaulx de vin bastard et de vin d’andelousye et de malvaisie lesquelz pour la grand soif qu’il avoit a cause des dictz harancz qu’il avalla navire et vin sans que il en demourast aulcune chose toutesfoys il s’en trouva aulcunement degouste a cause des ancres qui ne povoient passer par dedens ses boyaulx pour la tortuosite et revolution d’iceulx.

Il avoit pour medicin quant il estoit mal dispose ung ramonneur de cheminees au quel il feist prendre une longue eschelle et le feit monter et entrer en son ventre par le trou de son cul avec sa ratissoire de la quelle il luy ratissa les boyaulx et le ventre et en descroscha les ancres, les hunes, et les mastz qui estoient accrochez en divers lieux de son ventre: et de ses bouyaulx, de sorte qu’il monta par dedens son corps et luy sortit par la bouche apres qu’il eut bien tout descroche nettoye et ratisse, et pour maladie qu’il eust il ne usoit jamais d’aultre medicine ny avoit aultre medicin.

Icelluy Bringuenarilles n’avoit en son dict navire aulcuns velles ny aulcuns appareilz pour mener et conduire son dict navire par la mer fors

Page 9
seulement qu’il prenoit les deux pans de sa robbe qu’il estendoit au vent et se ascotoyt d’ung pied contre la proue et le bout de devant de son navire, et lors le vent qui luy souffloit au cul par derriere le menoit la ou il vouloit aler, avec ce il avoit les aureilles larges de plus d’ung arpent dedans les quelles le vent donnoit et souffloit de sorte qu’il n’y avoit navire en toute la mer combien qu’il eust de velles qui alast plus vitte que le sien tant fust bien equippe.

Et quant le vent luy failoit et que la mer estoit calme et paisible que sa naef ne povoit aler avant par faulte de vent il descendoit a pied dedens la mer et poussoit son navire par derriere et le menoit et conduisoit la ou il vouloit et cheminoit a pied sur la mer combien qu’il fust gros et pesant comme il eust faict sur terre ferme et solide a cause que les semelles de ses souliers estoient de liege les quelles estoient larges chascune de plus d’ung arpent, au moyen de quoy il ne povoit enfonser en la mer, et par ce moyen il exploitoit tousjours pays: et faisoit plus de chemin en ung jour que les aultres en cent, a cause qu’il avoit les jambes fort longues et qu’il marchoit en pas de grue, en sorte qu’il faisoit a chascun pas bien trente lieues du moins.

Il n’y avoit navire en toute la mer tant fust

Page [9v]
bien muny ny equippe qui eust sceu ny ause approcher de luy.

Car quant il veoit aulcuns fustes ou galleres ou aultres navires venir devers luy, il avaloit ses chaulses et rebrassoit son cul qu’il tournoit vers ses ennemys puis petoit et souffloit du derriere de sorte qu’il jectoit lesdictes naefz et galeres a plus de cent lieues de la, et les brisoit et rompoit contre les roches de la mer par quoy il n’y avoit homme tant fust hardy qui l’ausast assailir par mer ny par terre, ne qui sceust approcher de luy s’il n’eust voulu a cause du vent qui luy sortoit du trou du cul soubz le nez de vous, tant souffloit fort.

Je vey une foys qu’il fit une rotte mais il en jecta par terre plus de huict mille maisons d’une bonne ville qui estoit bien a trente lieues de la:

Je luy ay aultresfoys veu rompre ung matz de navire d’ung morveau quant il se mouchoit et le vent de ses narines jectoit par terre une tour aussi grosse que une des tours nostre Dame de Paris nostre Dame de Parisnostre DameParis, qui est une chose fort difficile a croire qui ne l’auroit veu comme moy et maistre Thiburce dyariferos, qui escripvoit soubz moy ses merveilles.

Quant il vouloit affamer ung pays il ne faisoit que souffler du derriere contre les moulins a

Page 10
vent par quoy il les jectoit tous par terre et les rompoit et bresilloit tous par pieces, munier et tout.

Au regard des moulins a eau il les noyoit et faisoit aler aval l’eau quant il pissoit au dessus.

Il monta quelque foys a mont ung fleuve environ dix lieues jusques a l’endroit d’ung lieu ou l’on passoit au bateau et s’en dormit sur le bort dudict fleuve et lors le membre luy dressa en sorte qu’il se estandit jusques a l’aultre rive atravers l’eau et demoura ainsi toute la nuict.

Lors ung chartier venant bien tard du boys avec son chariot a quatre roes, et a quatre chevaulx tout charge de fagotz, entra dedans son membre si avant que le cheval de devant vint jusques aux genitoires qui ne povoit passer, par quoy il fut contrainct de demourer toute la nuict a cheval a tout son fouet au poing, jusques au lendemain que Bringuenarilles fut esveille, lequel pensoit avoir la gravelle, par quoy il se mit a pisser et lors pissa le chariot a recullons tout le premier et puis les chevaulx et le chartier tenant encor son fouet au poing lequel fut presque noye a cause de la grande abundance d’eaue qui luy sortoit du corps et de la vessie et sans les fagotz le chartier et les chevaulx eussent estez noyez, et ainsi le debvez croire.

Réel    Hypothétique    Fictif    Mythique   
Région, contrée    Ville, village    Bâtiment    Étendue, cours d'eau    Montagne, île, ...    Autre