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La Sciomachie

Au troisieme jour de Fevrier M. D. XLIX. entre trois et quatre heures du matin nasquit au chasteau de saint Germain en Layechasteau de saint Germain en Layesaint Germain en Laye Louis Duc d’ OrleansDuc d’ OrleansOrleans, filz puisné du Treschrestien Roy de France Henry de Valois second de ce nom, et de tresillustre Madame Catharine de Medicis sa bonne espouse. Cestuy propre jour en Rome par les banques fut un bruit tout commun sans autheur certain de ceste heureuse naissance, non seulement du lieu et jour susdits, mais aussi de l’heure: savoir est environ neuf heures selon la supputation des Romains. Qui est chose prodigieuse et admirable, non toutesfois en mon endroit, qui pourrois alleguer par les histoires Grecques et Romaines, nouvelles insignes, comme de batailles perdues ou gaignees à plus de cinq cens lieües loing, ou autre cas d’importance grande, avoir esté semees au propre et mesme jour, voire devant, sans autheur congnu. Encores en veismes nous semblables à Lyon pour la journee de Pavie, en la personne du feu seigneur de Rochefortseigneur de RochefortRochefort : et recentement à Paris au jour que combatirent les seigneurs de Jarnac, et Chastaigneraye : mille autres. Et est un poinct sus lequel les Platoniques ont fondé la participation de divinité es Dieux tutelaires, lesquelz noz Theologiens appellent

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Anges gardians. Mais ce propos excederoit la juste quantité d’une epistre. Tant est, que l’on creut par les banques cestes nouvelles si obstinément, que plusieurs de la part Françoise sus le soir en feirent feuz de joye, et marquerent de croye blanche sus leurs calendiers ceste fauste et heureuse journee. Sept jours apres furent ces bonnes nouvelles plus au plein averees par quelques courriers de banque, venans uns de Lyon, autres de Ferrare.

Mes Seigneurs les Reverendissimes Cardinaux François qui sont en ceste court Romaine, ensemble le seigneur d’Urfé Ambassadeur de sa Majesté, non ayans autre advis particulier, delayoient tousjours à declairer leur joye et alaigresse de ceste tant desiree naissance, jusques à ce que le seigneur Alexandre Schivanoia gentil homme Mantuan, arriva au premier jour de ce mois de Mars expressement envoyé de la part de sa Majesté, pour acertainer le Pere saint, les Cardinaux François, et Ambassadeur, de ce que dessus. Adonques furent faits de tous costez festins et feuz de joye, par trois soirs subsequens.

Mon Seigneur Reverendissime Cardinal du Bellay non content de ces menues et vulgaires significations de liesse pour la naissance d’un si grand Prince destiné à choses si grandes en matiere de chevalerie, et gestes heroiques, comme il appert par son horoscope, si une fois il eschappe quelque triste

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aspect en l’angle Occidental de la septieme maison: voulut (par maniere de dire) faire ce que feit le seigneur Jan Jordan Ursin, lors que le Roy François d’heureuse memoire, obtint la victoire à Marignan. Iceluy voyant par la part ennemie à un faux rapport estre faits feuz parmy les rues de Rome, comme si ledit Roy eust perdu la bataille: quelques jours apres adverti de la verité du succes, et de sa victoire, acheta cinq ou six maisons contigues en forme d’Isle, pres mont Jordan, les feit emplir de fagotz, falourdes, et tonneaux, avecques force pouldre de canon, puis meit le feu dedens. C’estoit une nouvelle Alosis, et nouveau feu de joye. Ainsi vouloit ledit Seigneur Reverendissime, pour declairer l’exces de son alaigresse pour cestes bonnes nouvelles faire, quoy qu’il coustast, quelque chose spectable non encores veüe en Rome de nostre memoire. Non la pouvant toutesfois executer à sa fantasie et contentement, obstant quelque maladie survenue en cestuy temps, audit seigneur Ambassadeur, auquel le cas touchoit pareillement à cause de son estat, fut relevé de ceste perplexité par le moyen du seigneur Horace Farnese Duc de CastresDuc de CastresCastres, et des seigneurs Robert Strossi, et de Maligni : lesquelz estoient en pareille combustion. Ilz mirent quatre testes en un chapperon: en fin apres plusieurs propos mis en deliberation, resolurent faire une Sciomachie, c’estadire, un simulacre et représentation
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de bataille, tant par eaue que par terre.

La Naumachie, c’estadire le combat par eaue, estoit designé au dessus du pont Aelian, justement devant le jardin secret du chasteau saint Ange : lequel feu de memoire eternelle Guillaume du Bellay, seigneur de LangeyGuillaume du Bellay, seigneur de LangeyLangey, avoit avecques ses bandes fortifié, gardé, et deffendu bien long temps contre les Lansquenetz, qui depuis saccagerent Rome. L’ordre d’iceluy combat estoit tel, que cinquante menuz vaisseaux, comme Fustes, Galiotes, Gondoles et Fregates armees assailleroient un grand et monstrueux Galion, composé de deux les plus grans vaisseaux, qui fussent en ceste marine: lesquelz l’on avoit fait monter d’ Hostie et Porto à force de beufles. Et apres plusieurs ruses, assautz, repoulsemens, et autres usances de bataille navale, sus le soir l’on mettroit le feu dedens iceluy Galion. Il y eust eu un terrible feu de joye, veu le grand nombre et quantité de feuz artificielz, qu’on avoit mis dedens. Ja estoit iceluy Galion prest à combatre: les petis vaisseaux prestz d’assaillir, et peintz selon les livrees des Capitaines assaillans: avecques la pavesade et chorme bien galante. Mais ce combat fut obmis, à cause d’une horrible crue du Tybre, et vorages par trop dangereuses: comme vous savez, que c’est un des plus inconstans fleuves du monde, et croit inopinément non seulement par esgoutz des eaues tombantes des montaignes à la fonte des neiges, ou autres

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pluies: ou par regorgemens des lacs, qui se deschargent en iceluy: mais encores par maniere plus estrange par les vents Austraux qui soufflans droit en sa boucque pres Hostie, suspendant son cours, et ne luy donnans lieu de s’escouller en ceste mer Hetrusque, le font enfler et retourner arriere, avecques miserable calamité, et vastation des terres adjacentes. Adjoint aussi que deux jours devant avoit esté fait naufrage d’une des Gondoles, en laquelle s’estoient jettez quelques Matachins imperitz de la marine, cuydans fanfarer et bouffonner sus eaue, comme ilz font tresbien en terre ferme. Telle Naumachie estoit assignee pour le dimenche dixieme de ce mois.

La Sciomachie par terre fut faite au jeudi subsequent. Pour laquelle mieux entendre est à noter, que pour icelle aptement parfaire fut eslue la place de sant Apostolo, par ce qu’apres celle d’ Agone, c’est la plus belle et longue de Rome : par ce aussi, et principalement que le palais dudit Seigneur Reverendissime est sus le long d’icelle place. En icelle donques devant la grand’ porte d’iceluy palais fut par le deseing du Capitaine Jan Francisque de monte Melino erigé un chasteau en forme quadrangulaire, chacune face duquel estoit longue d’environ vingt et cinq pas: haute la moitié d’autant, comprenant le parapete. A chacun angle estoit erigé un tourrion à quatre angles acutz: desquelz les trois

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estoient proiettez au dehors, le quatrieme estoit amorti en l’angle de la muraille du chasteau. Tous estoient percez pour canonnieres par chacun des flans et angles interieurs en deux endroitz, savoir est au dessouz et au dessus du cordon. Hauteur d’iceux avecques leur parapete, comme de ladite muraille. Et estoit icelle muraille pour la face principale qui regardoit le long de la place, et le contour de ses deux tourrions, de fortes tables et esses jusques au cordon: le dessus estoit de brique, pour la raison qu’orrez par cy apres. Les autres deux faces avecques leurs tourrions estoient toutes de tables et limandes. La muraille de la porte du palais estoit pour quarte face. Au coing de laquelle par le dedens du chasteau estoit erigee une tour quarree de pareille matiere, haute trois fois autant, que les autres tourrions. Par le dehors tout estoit aptement joint, collé, et peint, comme si fussent murailles de grosses pierres entaillees à la rustique, telle qu’on voit la grosse tour de Bourgestour de BourgesBourges. Tout le circuit estoit ceint d’un fossé large de quatre pas, profond d’une demie toise et plus. La porte estoit selon l’advenue de la porte grande du palais, eslevee pour le machicoulis environ trois piedz plus haut que la muraille: de laquelle descendoit un pont levis jusques sus la contrescarpe du fossé.

Au jour susdit XIIII. de ce mois de Mars, le ciel et l’air semblerent favoriser à la feste. Car l’on

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n’avoit de long temps veu journee tant claire, serene, et joyeuse, comme icelle fut en toute sa duree. La frequence du peuple estoit incroyable. Car non seulement les Seigneurs Reverendissimes Cardinaux presque tous, les Evesques, Prelatz, Officiers, Seigneurs, et Dames, et commun peuple de la ville y estoient accouruz: mais aussi des terres circunvoisines à plus de cinquante lieües à la ronde, estoient convenuz nombre merveilleux de Seigneurs Ducz, Comtes, Barons, gentilzhommes, avecques leurs femmes et familles, au bruit qui estoit couru de ce nouveau tournoy: aussi qu’on avoit veu es jours precedens tous les brodeurs, tailleurs, recameurs, plumaciers, et autres de telz mestiers employez et occupez à parfaire les accoustremens requis à la feste. De mode que non les palais, maisons, loges, galeries, et eschauffautz seulement estoient pleins de gens en bien grande serre, quoy que la place soit des plus grandes et spacieuses qu’on voye: mais aussi les toitz et couvertures des maisons et eglises voisines. Au mylieu de la place pendoient les armoiries de mondit Seigneur d’ OrleansSeigneur d’ OrleansOrleans en bien grande marge à double face, entournoiees d’un joyeux feston de Myrtes, Lierres, Lauriers, et Orangiers mignonnement instrophiees d’or cliquant avecques ceste inscription: Cresce infans, fatis nec te ipse vocantibus aufer.

Sus les XVIII. heures, selon la supputation du païs, qui est entre une et deux apres mydi, ce pendant

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que les combatans soy mettoient en armes, entrerent dedens la place les deux Caporions Colonnois avecques leurs gens embastonnez, assez mal en poinct. Puis survindrent les Suisses de la garde du Pape avecques leur Capitaine tous armez à blanc, la picque au poing, bien en bon ordre, pour garder la place. Alors pour temporiser et esbatre l’assemblee magnifique, furent laschez quatre terribles et fiers taureaux. Les premier et second furent abandonnez aux gladiateurs et bestiaires à l’espee et cappe. Le tiers fut combatu par trois grans chiens Corses, auquel combat y eut de passetemps beaucoup. Le quart fut abandonné au long bois, savoir est picques, partusanes, halebardes, corsecques, espieuz Boulonnois: par ce qu’il sembloit trop furieux, et eust peu faire beaucoup de mal parmy le menu peuple.

Les taureaux desconfitz, et la place vuyde du peuple jusques aux barrieres, survint le Moret archibouffon d’ Italie, monté sus un bien puissant roussin, et tenant en main quatre lances liees et entees dedens une, soy vantant de les rompre toutes d’une course contre terre. Ce qu’il essaya, fierement picquant son roussin, mais il n’en rompit que la poignee, et s’accoustra le bras en coureur buffonique. Cela fait, en la place entra au son des fifres et tabours une enseigne de gens de pied, tous gorgiasement accoustrez, armez de harnois presque

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tous dorez, tant picquiers, qu’escoulpetiers en nombre de trois cens, et plus. Iceux furent suivis par quatre trompettes, et un estanterol de gens de cheval, tous serviteurs de sa Majesté, et de la part Françoise, les plus gorgias, qu’on pourroit souhaiter: nombre de cinquante chevaux, et d’avantage. Lesquelz la visiere haulsee feirent deux tours le long de la place en grande alaigresse faisans poppizer, bondir, et penader leurs chevaux, uns parmy les autres, au grand contentement de tous les spectateurs. Puis se retirerent au bout de la place à gauche vers le monastere de saint Marcelmonastere de saint Marcelsaint Marcel. D’icelle bande pour les gens de pied estoit Capitaine le seigneur Astorre Baglion. L’enseigne duquel, et escharpes de ses gens estoit de couleurs blanc et bleu. Le seigneur Duc Horace estoit chef des hommes d’armes, desquelz voluntiers j’ay cy dessouz mis les noms, pour l’honneur d’iceux. L’Excellence dudit seigneur Duc. Paule Baptiste Fregose. Flaminio de Languillare. Alexandre Cinquin. Luca d’Onane. Theobaldo de la Molare. Philippe de Serlupis. Dominique de Massimis. P. Loïs Capisucco. P. Paule de la Cecca.
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Bernardin Piovene. Ludovic Cosciari. Jan Paule escuier de son Excellence.

Tous en harnois dorez, montez sus gros Coursiers, leurs pages montez sus Genetz, et chevaux Turcs, pour le combat à l’espee.

La livree de son Excellence estoit blanc, et incarnat, laquelle pouvoit on voir es habillemens, bardes, caparassons, pennaches, panonceaux, lances, fourreaux d’espees, tant dessusdits chevaliers, que des pages et estaffiers, qui les suyvoient en bon nombre. Ses quatre trompettes vestuz de casaquins de velours incarnat decouppé, et doublé de toille d’argent. Son Excellence estoit richement vestue sus les armes d’un accoustrement fait à l’antique de satin incarnat broché d’or, couvert de croissans estoffez en riche broderie de toille et canetille d’argent. De telle parure estoient semblablement vestuz et couvers tous les hommes d’armes susdits, et leurs chevaux pareillement. Et n’est à obmettre qu’entre les susdits croissans d’argent à haut relief, par certains quadres estoient en riche broderie posees quatre gerbes recamees à couleur verde, autour desquelles estoit escrit ce mot, FLAVESCENT. Voulant signifier (selon mon opinion) quelque sienne grande esperance estre prochaine de maturité et jouissance.

Ces deux bandes ainsi escartees, et restant la

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place vuyde, soudain entra par le costé droit du bas de la place une compagnie de jeunes et belles Dames richement atournees, et vestues à la Nymphale, ainsi que voyons les Nymphes par les monumens antiques. Desquelles la principale plus eminente et haute de toutes autres, representant Diane, portoit sus le sommet du front un croissant d’argent: la chevelure blonde esparse sus les espaules, tressee sus la teste avecques une girlande de laurier toute instrophiee de roses, violettes, et autres belles fleurs: vestue sus la sottane et verdugalle de damas rouge cramoisi à riches broderies, d’une fine toille de Cypre toute battue d’or: curieusement pliee, comme si fust un rochet de Cardinal, descendant jusques à my jambe, et par dessus une peau de Leopard bien rare et precieuse attachee à gros boutons d’or sus l’espaule gauche. Ses botines dorees, entaillees, et nouees à la Nymphale avecques cordons de toille d’argent: son cor d’Ivoire pendant souz le bras gausche, sa trousse precieusement recamee et labouree de Perles pendoit de l’espaule droite à gros cordons et houppes de soye blanche et incarnate. Elle en main droite tenoit une dardelle argentee. Les autres Nymphes peu differoient en accoustremens: exceptez qu’elles n’avoient le croissant d’argent sus le front. Chacune tenoit un arc Turquois bien beau en main, et la trousse comme la premiere. Aucunes sus leurs rochetz
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portoient peaux d’Africanes, autres de Loups cerviers, autres de Martes Calabroises. Aucunes menoient des levriers en lesse, autres sonnoient de leurs trombes. C’estoit belle chose les voir. Ainsi soy pourmenans par la place en plaisans gestes comme si elles allassent à la chasse, advint qu’une du trouppeau soy amusant à l’escart de la compagnie pour nouer un cordon de sa botine, fut prinse par aucuns soudars sortiz du chasteau à l’improviste. A ceste prinse fut horrible effroy en la compagnie. Diane hautement cryoit, qu’on la rendist, les autres Nymphes pareillement en cris piteux et lamentables. Rien ne leur fut respondu par ceux qui estoient dedens le chasteau. Adonques tirans quelque nombre de flesches pardessus le parapete, et fierement menassans ceux du dedens, s’en retournerent portans face et gestes au retour autant tristes et piteuses, comme avoient eu joyeuses et gayes à l’aller.

Sus la fin de la place rencontrans son Excellence, et sa compagnie, feirent ensemble cris effroyables. Diane luy ayant exposé la desconvenue, comme à son mignon et favorit tesmoing la devise des croissans d’argent espars par ses accoustremens, requist ayde secours et vengeance. Ce que luy fut promis et asseuré. Puis sortirent les Nymphes hors la place. Adonques son Excellence envoye un heraut par devers ceux qui estoient dedens le chasteau,

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requerant la Nymphe ravie luy estre rendue sus l’instant. Et en cas de refus ou delay les menassant fort et ferme de mettre eux et la forteresse à feu et à sang. Ceux du chasteau feirent response, qu’ilz vouloient la Nymphe pour soy, et que s’ilz la vouloient recouvrir, il failloit jouer des cousteaux, et n’oublier rien en la boutique. A tant non seulement ne la rendirent à ceste sommation, mais la monterent au plus haut de la tour quarree en veüe de la part foraine. Le heraut retourné et entendu le refus, son Excellence tint sommairement conseil avecques ses Capitaines. Là fut resolu de ruïner le chasteau, et tous ceux qui seroient dedens.

Auquel instant, par le costé droit du bas de la place entrerent au son de quatre trompettes, fifres et tabours un estanterol de gens de cheval, et une enseigne de gens de pied, marchans furieusement, comme voulans entrer par force dedens le chasteau au secours de ceux qui le tenoient. Des gens de pied estoit Capitaine le seigneur Chappin Ursin, tous hommes galans, et superbement armez tant picquiers que harquebousiers en nombre de trois cens et plus. Les couleurs de son enseigne, et escharpes estoient blanc et orangé. Les gens de cheval faisans nombre de cinquante chevaux et plus, tous en harnois dorez, richement vestuz, et enharnachez estoient conduits par les seigneurs Robert Strossi, et Maligni. La livree du seigneur Robert

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de son accoustrement sus armes, des bardes, capparassons, pennaches, panonceaux, et des chevaliers par luy conduits, des trompettes pages et estaffiers estoit des couleurs blanc, bleu, et orangé. Celle du seigneur de Maligni, et des gens par luy conduits, estoit des couleurs blanc, rouge, et noir. Et si ceux de son Excellence estoient bien et advantagement montez, et richement accoustrez, ceux cy ne leurs cedoient en rien. Les noms des hommes d’armes j’ay icy mis à leur honneur et louenge.

Le seigneur Robert Strossi. Le seigneur de Maligni. S. Averso de Languillare. S. de Malicorne le jeune. M. Jean Baptiste de Victorio. S. de piebon. M. Scipion de Piovene. S. de Villepernay. Spagnino. Baptiste, picqueur du seigneur Ambassadeur. Le cavalcador du Seigneur Robert. Jean Baptiste Altoviti. S. de la Garde.

Ces deux derniers ne furent au combat, par ce que quelques jours davant la feste, soy essayans dedens les thermes de Diocletian avecques la compagnie, au premier fut une jambe rompue, au second, le poulse taillé de long. Ces deux bandes

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donques entrans fierement en la place furent rencontrees de son Excellence et de ses compagnies. Alors fut l’escarmouche attaquee des uns parmy les autres en braveté honnorable, sans toutesfois rompre lances ny espees. Les derniers entrez tousjours soy retirans vers le fort: les premiers entrez tousjours les poursuyvans, jusques à ce qu’ilz furent pres le fossé. Adonques fut tiré du chasteau grand nombre d’artillerie grosse et moyenne, et se retira son Excellence, et ses bandes en son camp: les deux bandes dernieres entrerent dedens le chasteau.

Ceste escarmouche finie sortit un trompette du chasteau envoyé devers son Excellence, entendre si ses chevaliers vouloient faire esprouve de leurs vertus en Monomachie, c’estadire homme à homme contre les tenans. Auquel fut respondu, que bien voluntiers le feroient. Le trompette retourné sortirent hors le chasteau deux hommes d’armes ayans chacun la lance au poing, et la visiere abbatue. Et se poserent sus le revelin du fossé en face des assaillans. De la bande desquelz pareillement se targerent deux hommes d’armes, lance au poing, visiere abattue. Lors sonnans les trompettes d’un costé et d’autre les hommes d’armes soy rencontrerent piquans furieusement leurs dextriers: puis les lances rompues tant d’un costé, comme d’autre, mirent la main aux espees, et soy chamaillerent l’un l’autre si brusquement, que leurs espees volerent en pieces.

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Ces quatre retirez, sortirent quatre autres, et combatirent deux contre deux, comme les premiers: et ainsi consequentement combatirent tous les gens de cheval des deux bandes controverses.

Ceste Monomachie parachevee, ce pendant que les gens de pied entretenoient la retraite, son Excellence, et sa compagnie changeans de chevaux reprindrent nouvelles lances, et en trouppe se presenterent devant la face du chasteau: les gens de pied sus le flanc droit couvers d’aucuns rondeliers apportoient eschelles, comme pour emporter le fort d’emblee: et ja avoient planté quelques eschelles du costé de la porte, quand du chasteau fut tant tiré d’artillerie, tant jetté de mattons, micraines, potz, et lances à feu, que tout le voisinage en retondissoit, et ne voioyt on autour que feu, flambe, et fumee, avecques tonnoirres horrifiques de telle canonnerie. Dont furent contraints les forains soy retirer, et abandonner les eschelles. Quelques soudars du fort sortirent souz la fumee, et chargerent les gens de pied forains de maniere qu’ilz prindrent deux prisonniers. Puis suyvans leur fortune se trouverent enveloppez entre quelque esquadron des forains caché comme en embuscade. Là craingnans que la bataille ensuivist, se retirent au trot et perdirent deux de leurs gens, qui furent semblablement emmenez prisonniers. A leur retraite sortirent du chasteau les gens de cheval cinq à cinq par

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ranc, la lance au poing. Les forains de mesmes se presenterent, et rompirent lances en tourbe, par plusieurs courses. Qui est chose grandement perilleuse. Tant y ha que le seigneur de Maligni ayant fait passee sans attainte contre l’escuier de son Excellence, au retour le choqua de telle violence, qu’il rua par terre homme et cheval. Et en l’instant mourut le cheval, qui estoit un bien beau et puissant coursier. Celuy dudit S. Maligni resta espaulé.

Le temps pendant qu’on tira hors le cheval mort, sonnerent en autre et plus joyeuse harmonie les compagnies des musiciens, lesquelz on avoit posé en divers eschauffautz sus la place: comme hautbois, cornetz, sacqueboutes, flutes d’Allemans, doucines, musettes, et autres, pour esjouir les spectateurs par chacune pose du plaisant tournoy. La place vuidee, les hommes d’armes tant d’un costé comme d’autre, le S. de Maligni monté sus un genet frais, et l’escuier sus un autre (car peu s’estoient blessez) laissans les lances combatirent à l’espee en tourbe les uns parmy les autres assez felonnement. Car il y eut tel qui rompit trois et quatre espees: et quoy qu’ilz fussent couvers à l’advantage, plusieurs y furent desarmez.

La fin fut qu’une bande de harquebousiers forains chargerent à coups d’escoulpettes les tenans, dont furent contraintz soy retirer au fort, et mirent pied à terre. Sus ceste entrefaite au son de la campanelle du chasteau, fut tiré grand nombre d’artillerie:

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et se retirerent les forains, qui pareillement mirent pied à terre, et delibererent donner la bataille, voyans sortir du fort tous les tenans en ordre de combat. Pourtant prindrent un chacun la picque mornee en poing, et les enseignes desployees, à desmarche grave et lente se presenterent en veüe des tenans, au seul son des fifres et tabours, estans les hommes d’armes en premiere filliere, les harquebousiers en flanc. Puis marchans oultre encore quatre ou cinq pas, se mirent tous à genouilz, tant les forains que les tenans, par autant d’espace de temps en silence, qu’on diroit l’oraison dominicale.

Par tout le discours du tournoy precedent fut le bruit et applausion des spectateurs grand en toute circunference. A ceste precation, fut silence de tous endroits, non sans effroy, mesmement des Dames, et de ceux qui n’avoient autre fois esté en bataille. Les combatans ayans baisé la terre soudain au son des tabours se leverent, et les picques baissees en hurlemens espouventables vindrent à joindre, les harquebousiers de mesmes sus les flans tiroient infatigablement. Et y eut tant de picques brisees, que la place en estoit toute couverte. Les picques rompues mirent la main aux espees, et y eut tant chamaillé à tors et à travers, qu’à une fois les tenans repoulserent les forains plus de la longueur de deux picques: à l’autre les tenans furent repoulsez jusques au revelin des tourrions. Lors furent sauvez par l’artillerie

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tirant de tous les quantons du chasteau, dont les forains se retirerent. Ce combat dura assez longuement. Et y fut donné quelques esraflades de picques et espees, sans courroux toutesfois, n’affection mauvaise. La retraite faite tant d’un costé comme d’autre, resterent en place à travers les picques rompues et harnois brisez deux hommes morts, mais c’estoient hommes de foin: desquelz l’un avoit le bras gauche couppé, et le visage tout en sang, l’autre avoit un transon de picque à travers le corps souz la faute du harnois. Autour desquelz fut recreation nouvelle ce pendant en que la musique sonnoit. Car Frerot à tout son accoustrement de velours incarnat fueilleté de toille d’argent, à forme d’aesles de Souris chauve, et Fabritio avecques sa couronne de laurier, soy joingnirent à eux: l’un les admonestoit de leur salut, les confessoit, et absovloit comme gens morts pour la foy: l’autre les tastoit aux goussetz et en la braguette pour trouver la bourse. En fin les descouvrans et despouillans monstrerent au peuple que ce n’estoient que gens de foin. Dont fut grande risee entre les spectateurs, soy esbahissans comment on les avoit ainsi là mis et jettez, durant ce furieux combat.

A ceste retraite, le jour esclarci et purgé des fumees et perfums de la canonnerie, apparurent au mylieu de la place huit ou dix gabions en renc, et cinq pieces d’artillerie sus roue: lesquelles durant la bataille avoient esté posees par les canonniers de son

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Excellence. Ce qu’estant apperceu par une sentinelle monté sus la haute tour du chasteau au son de la campanelle fut fait et ouy grand effroy et hurlement de ceux du dedens: et fut lors tiré tant d’artillerie par tous les endroits du fort, et tant de sciopes, fusees en canon, palles, et lances à feu vers les gabions posez, qu’on n’eust point ouy tonner du ciel. Ce nonobstant, l’artillerie posee derriere les gabions tira furieusement par deux fois contre le chasteau, en grand espouventement du peuple assistant. Dont tomba par le dehors la muraille jusques au cordon: laquelle, comme ay dit, estoit de brique. De ce advint que le fossé fut remply. A la cheute resta l’artillerie du dedens descouverte: un bombardier tomba mort du haut de la grosse tour. Mais c’estoit un bombardier de foin revestu. Ceux du dedens adonques commencerent à remparer derriere ceste breche en grand effort et diligence. Les forains ce pendant feirent une mine, par laquelle ilz mirent le feu en deux tourrions du chasteau, lesquelz tombans par terre à la moitié, feirent un bruit horrible. L’un d’iceux brusloit continuellement, l’autre faisoit fumee tant hydeuse et espaisse, qu’on ne pouvoit plus voir le chasteau.

Derechef fut faite nouvelle batterie, et tirerent les cinq grosses pieces par deux fois contre le chasteau. Dont tomba toute l’escarpe de la muraille: laquelle, comme ay dit, estoit faite de tables et limandes. Dont tombant par le dehors feit comme un

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pont tout couvrant le fossé jusques sus le revelin. Resta seulement la barriere et rempart, que les tenans avoient dressé. Lors pour empescher l’assaut des forains lesquelz estoient tous en ordonnance au bout de la place, furent jettees dix trombes de feu, canons de fusees, palles, mattons, et potz à feu: et du rempart fut jetté un bien gros ballon en la place, duquel à un coup sortirent trente bouches de feu, plus de mille fusees ensemble, et trente razes. Et couroit ledit ballon parmy la place, jettant feu de tous costez, qui estoit chose espouventable. Fait par l’invention de messer Vincentio Romain, et Francisque Florentin, bombardiers du Pere saint. Frerot faisant le bon compagnon courut apres ce ballon, en l’appellant gueulle d’enfer, et teste de Lucifer, mais d’un coup qu’il frappa dessus avecques un transon de picque, il se trouva tout couvert de feu, et crioit comme un enragé, fuyant deça et delà, et bruslant ceux qu’il touchoit. Puis devint noir comme un Ethiopien, et si bien marqué au visage, qu’il y paroistra, encores d’icy à trois mois. Sus la consommation du ballon fut sonné à l’assaut, de la part de son Excellence, lequel avecques ses hommes d’armes à pied couvers de grandes targes d’arain doré à l’antique façon, et suivy du reste de ses bandes entra sus le pont susdit. Ceux du dedens luy feirent teste sus le rempart et barriere. A laquelle fut combatu plus felonnement que n’avoit encores esté. Mais par force
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en fin franchirent la barriere, et entrerent sus le rempart. Auquel instant l’on veit sus la haute tour les armoiries de sa Majesté enlevees avecques festons joyeux. A dextre desquelles peu plus bas estoient celles de mon seigneur d’ Orleansmon seigneur d’ OrleansOrleans, à gauche celles de son Excellence. Qui fut sur les deux heures de nuict. La Nymphe ravie fut presentee à son Excellence, et sus l’heure rendue à Diane, laquelle se trouva en place comme retournant de la chasse.

Le peuple assistant, grans et menuz, nobles et roturiers, reguliers et seculiers, hommes et femmes bien au plein esjouiz, contens, et satisfaits feirent applausement de joye et alaigresse, de tous costez à haute voiz crians et chantans Vive France, France, France, vive Orleans, vive Horace Farnese. Quelques uns adjousterent, Vive Paris, vive Bellay, vive la coste de Langey : nous pouvons dire ce que jadis l’on chantoit à la denonciation des jeuz Seculares: Nous avons veu ce que personne en Rome vivant ne veit, personne en Romme vivant ne verra.

L’heure estoit ja tarde et opportune pour soupper, lequel pendant que son Excellence se desarma, et changea d’habillemens ensemble tous les vaillans champions et nobles combatans, fut dressé en sumptuosité et magnificence si grande, qu’elle pouvoit effacer les celebres banquetz de plusieurs anciens Empereurs Romains et Barbares: voire certes la patine et cuisinerie de Vitellius, tant celebree, qu’elle vint

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en proverbe. au banquet duquel furent servies mille pieces de poisson. Je ne parleray point du nombre, et rares especes des poissons icy serviz: il est par trop excessif. Bien vous diray, qu’à ce banquet furent servies plus de mille cinq cens pieces de four: j’entens patez, tartes, et dariolles. Si les viandes furent copieuses, aussi furent les beuvettes numereuses. Car trente poinsons de vin, et cent cinquante douzaines de pain de bouche ne durerent gueres, sans l’autre pain mollet et commun. Aussi fut la maison de mon dit Seigneur Reverendissime ouverte à tous venans, quelz qu’ilz fussent, tout iceluy jour. En la table premiere de la salle moyenne furent contez douze Cardinaux, savoir est, Le Reverendissime Cardinal Farnese. Reverendissime Cardinal de saint AngeReverendissime Cardinal de saint Angesaint Ange. Reverendissime Cardinal sainte Flour. Reverendissime Cardinal Sermonette. Reverendissime Cardinal Rodolphe. Reverendissime Cardinal du Bellay. Reverendissime Cardinal de LenoncourtReverendissime Cardinal de LenoncourtLenoncourt. Reverendissime Cardinal de MeudonReverendissime Cardinal de MeudonMeudon. Reverendissime Cardinal d’Armignac. Reverendissime Cardinal Pisan. Reverendissime Cardinal Cornare. Reverendissime Cardinal Gaddi.

Son Excellence, Le seigneur Strossi, l’Ambassadeur de Venise. Tant d’autres Evesques et Prelatz.

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Les autres salles, chambres, galeries d’iceluy palais estoient toutes pleines de tables servies de mesmes pain, vin et viandes. Les nappes levees pour laver les mains furent presentees deux fontaines artificielles sus la table toutes instrophiees de fleurs odorantes avecques compartimens à l’antique. Le dessus desquelles ardoit de feu plaisant et redolent composé d’eaue ardante musquee: au dessouz par divers canaux sortoit eaue d’Ange, eaue de Naphe, et eaue Rose. Les graces dites en musique honnorable, fut par Labbat prononcee avecques sa grande Lyre, l’Ode que trouverez icy à la fin, composee par mondit Seigneur Reverendissime.

Puis les tables levees entrerent tous les Seigneurs en la salle majour, bien tapissee et atournee. Là cuydoit on que fust jouee une Comedie, mais elle ne le fut, par ce qu’il estoit ja plus de minuict: et au banquet que mon Seigneur Reverendissime Cardinal d’Armignac avoit fait au paravant en avoit esté jouee une, laquelle plus facha que ne pleut aux assistans, tant à cause de sa longueur et mines Bergamasques assez fades, que pour l’invention bien froide, et argument trivial. En lieu de Comedie au son des cornetz, hautzbois, sacqueboutes, etc. entra une compagnie de Matachins nouveaux, lesquelz grandement delecterent toute l’assistance. Apres lesquelz furent introduites plusieurs bandes de masques, tant gentilzhommes que Dames d’honneur

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à riches devises et habillemens sumptueux. Là commença le bal, et dura jusques au jour. Lequel pendant mesdits Seigneurs Reverendissimes, Ambassadeurs, et autres Prelatz soy retirerent en grande jubilation et contentement.

En ces tournoy et festin je notay deux choses insignes. L’une est qu’il n’y eut noise, debat, dissention, ne tumulte aucun: l’autre que de tant de vaisselle d’argent en laquelle tant de gens de divers estatz furent serviz, il n’y eut rien perdu n’esgaré. Les deux soirs subsequens furent faits feuz de joye en la place publique devant le palais de mon dit Seigneur Reverendissime, avecques force artillerie, et tant de diversitez de feuz artificielz, que c’estoit chose merveilleuse, comme de gros ballons, de gros mortiers jettans par chacune fois plus de cinq cens sciopes et fusees, de rouetz à feu, de moulins à feu, de nues à feu pleines d’estoilles coruscantes, de sciopes en canon, aucunes pregnantes, autres reciprocantes, et cent autres sortes. Le tout fait par l’invention dudit Vincentio, et du Bois le Court, grand Salpetrier du Maine.

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