Comme Panurge envoya en la basse Bretaigne pour avoir ung truchement qui sceust parler tous langaiges Chapitre III.

Quant je vey mon navire tout equippe muny et avitaille de toutes choses et que j’avoye gens de bien et de deffence, et qu’il ne restoit plus qu’avoir ung bon truchement qui sceust parler toutes langues j’en envoye querir ung a

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cinquante lieues de la en la basse bretaigne, car c’est de la que viennent les bonnes langues et disertes, lequel parloit septante et deux langaiges, auquel je donnay si bons gaiges qu’il se tint pour content, luy venu je fiz lever les voilles et appareilz de ma naef pour transfreter et naviguer a toute diligence si eusmes le vent a gre lequel vint incontinent donner a la poupe de nostre naef de sorte que en moins de troys heures nous feismes plus de trente lieues en contant tout et vinsmes aborder en une isle d’environ cinquante lieues de long et trente de large en laquelle avoit une mou belle forest pleine de plus beaulx chesnes que l’on eust sceu veoir les plus charges de glandz que je veisse jamais au moyen de quoy nous pensions bien que ce feust terre ferme, et pource que les aultres forestz des pays d’environ avoient este gelees et peries.

Les habitans d’environ icelle mer avoient este advertis de la fertilite et habundance du gland qui estoit en ladicte forest, par quoy ilz avoient faict mener et passer tous leurs porcz pour engresser non advertis ny expers de la perte et dommaige qui leur advint par inadvertence, car icelle forest n’estoit aultre chose que une baleine grande et merveilleuse

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sur le dos, de la quelle avoit creu ladicte forest par quoy une grande vieille truye et ung grand verrad ayans les gueulles eschauffees a cause du gland se meirent a fouyr et a foulier aux Racines des feucheres si avant en terre qu’ilz parvindrent jusques au dos de ladicte Baleine et la mordirent par dessus l’eschine si fort que de la douleur qu’elle sentit elle donna de sa queue et de son baillay si grand et si merveilleux coup contre l’eau qu’elle la feit sortir et saulter en l’aer plus d’une lieue de hault en sorte que nous qui estions en ladicte forest pour enquerir, de ce qui y estoit cuidasmes estre tous noiez,

Et pareillement tous ceulx que nous avions laissez en nostre naef pour la garder, de la quelle nous avions mis et atache l’ancre a ladicte isle en la quelle estoit la dicte forest que nous pensions bien terre ferme et solide, la quelle isle fut si fort esbranlee et esmeue du coup que en moins de vingt et quatre heures nous feusmes portez plus de cent mille lieues a cause que ledict verrad et ladicte truye ne cessoient point de mordre ladicte balene.

Au moyen de quoy nous fusmes transportez es aultes mers de Inde la majeur et pareillement nostre naef et ceulx qui estoient dedens lesquelz pensoient estre tous periz et nous

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aussi, pource qu’elle aloit de telle impetuosite que si elle eust rencontre en sa voye une demie douzaine de petitz enfans elle les eust tous jectez sur le cul et croy que si vous y eussiez este que vous n’eussiez pas eu moindre peur que nous eusmes.

Je prie a dieu qu’il vous vueille preserver d’ung tel peril, Je vous advertiz que les bonnes gens a qui estoient les porcz les perdirent tous par quoy ilz feurent contrainctz de manger leur rost sans larder et leur poys sans lard, qui leur fut bien dur et bien estrange, et aussi a d’aulcuns frians comme moy, toutesfoys graces a dieu finablement elle se arresta par laps de temps.

Au moyen de quoy nous levasmes nostre ancre et rentrasmes tous en nostre naef si fort affamez que nous n’en povions plus et apres que nous eusmes prins nostre repas nous regardasmes en quelle mer nous estions par nostre directoire et specule et par nostre sonde, si congneu nostre patron et nostre gouverneur la ou nous estions par quoy nous prismes couraige esperant encor retourner a port de salut et que de tout ne povoit que mal advenir.

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