Comment Pantagruel de sa langue couvrit toute une armee, et de ce que l'auteur veit dedans sa bouche. chapitre. xxxij.

Ainsi que Pantagruel avecques toute sa bande entrerent es terres des Dipsodes, tout le monde en estoit joyeux, et incontinent se rendirent a luy, et de leur franc vouloir luy apporterent les clefz de toutes les villes ou il alloit, exceptez les Almyrodes qui voulurent tenir contre luy, et feirent responce a ses heraulx, qu'ilz ne se renderoyent: sinon a bonnes enseignes.

Quoy, dict Pantagruel, en demandent ilz meilleures que la main au pot, et le verre au poing? Allons, et qu'on me

Page [127v]
les mette a sac. Adonc tous se mirent en ordre comme deliberez de donner l'assault.

Mais on chemin passant une grande campaigne, furent saisiz d'une grosse housee de pluye. Aquoy commencerent se tresmousser et se serrer l'un l'aultre. Ce que voyant Pantagruel leur fist dire par les capitaines que ce n'estoit rien, et qu'il veoit bien au dessus des nuees que ce ne seroit q'une petite rousee, mais a toutes fins qu'ilz se missent en ordre, et qu'il les vouloit couvrir.Lors se mirent en bon ordre et bien serrez. Et Pantagruel tira sa langue seulement a demy, et les en couvrit comme une geline faict ses poulletz.Ce pendent je qui vous fais ces tant veritables contes, mestois caché dessoubz une fueille de Bardane, qui n'estoit moins large que l'arche du pont de Monstrible : mais quand je les veiz ainsi bien couvers je m'en allay a eulx rendre a l'abrit, ce que je ne peuz tant ilz estoient comme l'on dict, au bout de l'aulne fault le drap. Doncques le mieulx

Page Fu.128.
que je peuz montay par dessus et cheminay bien deux lieues sus sa langue, tant que je entray dedans sa boucheMais o dieux et deesses, que veiz je la? Juppiter me confonde de sa fouldre trisulque si j'en mens. Je y cheminoys comme l'on faict en Sophie a Constantinoble, et y veiz de grands rochiers, comme les mons des Dannoys, je croy que c'estoient ses dentz, et de grands prez, de grandes forestz, de fortes et grosses villes non moins grandes que Lyon ou Poictiers.Le premier que y trouvay, ce fut un bon homme qui plantoit des choulx. Dont tout esbahy luy demanday. Mon amy que fais tu icy? Je plante (dist il) des choulx. Et a quoy ny comment? dis je. Ha monsieur (dist il) chascun ne peut avoir les couillons aussi pesant q'un mortier, et ne pouvons estre tous riches. Je gaigne ainsi ma vie: et les porte vendre au marche en la cite qui est icy derriere. Jesus (dis je) il y a icy un nouveau monde. Certes (dist il) il n'est mie nouveau: mais l'on
Page [128v]
dist bien que hors dicy y a une terre neufve ou ilz ont et Soleil et Lune: et tout plein de belles besoignes: mais cestuy cy est plus ancien. Voire mais (dis je) mon amy, comment a nom ceste ville ou tu portes vendre tes choulx? Elle a (dist il) nom Aspharage, et sont Christians, gens de bien, et vous feront grande chere. Bref je deliberay d'y aller.

Or en mon chemin je trouvay un compaignon: qui tendoit aux pigeons. Auquel je demanday. Mon amy dont vous viennent ces pigeons icy? Cyre (dist il) ilz viennent de l'aultre monde.

Lors je pensay que quand Pantagruel baisloit, les pigeons a pleines volees entroyent dedans sa gorge, pensans que feust un colombier.Puis entray en la ville, laquelle je trouvay belle, bien forte, et en bel air, mais a l'entree les portiers me demanderent mon bulletin, de quoy je fuz fort esbahy, et leur demanday messieurs, y a il ici dangier de peste?

O seigneur (dirent ilz) l'on se meurt

Page Fu 129
icy aupres tant que le charriot court par les rues Vray dieu (dis je) et ou? Aquoy me dirent, que c'estoit en Laryngues et Pharingues, qui sont deux grosses villes telles comme Rouen et Nantes riches et bien marchandes. Et la cause de la peste a esté pour une puante et infecte exhalation qui est sortie des abysmes despuis na gueres, dont ilz sont mors plus de vingt et deux cens soixante mille et seize personnes, despuis huict jours.

Lors je pense et calcule, et trouve que c'estoit une puante halaine qui estoit venue de l'estomach de Pantagruel alors qu'il mangea tant daillade, comme nous avons dict dessus.

De la partant passay entre les rochiers qui estoyent ses dentz, et feis tant que je montay sus une, et la trouvay les plus beaulx lieux du monde, beaulx grands jeux de paulme, belles galleries, belles praries, force vignes, et une infinité de cassines a la mode Italicque par les champs pleins de delices: et la demouray bien quatre

Page [129v]
moys et ne feis oncques telle chere que pour lorsPuis descendis par les dentz du derriere pour venir aux baulievres, mais en passant je fuz destroussé des brigans par une grande forest qui est vers la partie des aureilles, puis trouvay une petite bourgade a la devallée, j'ay oublié son nom, ou je feiz encores meilleure chere que jamais, et gaignay quelque peu d'argent pour vivre.Scavez vous comment? a dormir, car l'on loue les gens a journée pour dormir, et gaignent cinq et six solz par jour, mais ceulx qui ronflent bien fort gaignent bien sept solx et demy. Et contois aux senateurs comment on m'avoit destroussé par la valée: lesquelz me dirent que pour tout vray les gens de dela estoient mal vivans et brigans de nature.

A quoy je congneu que ainsi comme nous avons les contrees de deca et de dela les montz, aussi ont ilz deca et dela les dentz. Mais il fait beaucoup meilleur deca et y a meilleur air.

La commencay penser qu'il est bien vray

Page Fu.130.
ce que l'on dit, que la moytié du monde ne scait comment l'autre vit. Veu que nul avoit encores escrit de ce pais la auquel sont plus de xxv. royaulmes habitez, sans les desers, et un gros bras de mer: mais j'en ay composé un grand livre intitule l'Histoire des Gorgias : car ainsi les ay je nommez par ce qu'ilz demourent en la gorge de mon maistre Pantagruel.

Finablement vouluz retourner et passant par sa barbe me gettay sus ses espaulles, et de la me devalle en terre et tumbe devant luy.Quand il me apperceut il me demanda, Dont viens tu Alcofrybas ? Je luy responds, de vostre gorge monsieur, Et despuis quand y es tu? dist il. Despuis (dis je) que vous alliez contre les Almyrodes, Il y a (dist il) pluz de six moys. Et dequoy vivois tu? que beuvoys tu? Je responds. Seigneur de mesmes vous, et des plus frians morceaulx qui passoient par vostre gorge jen prenois le barraige.Voire mais (dist il) ou chioys tu? En vostre gorge monsieur, dis je,

Page [130v]
Ha, ha, tu es gentil compaignon (dist il) Nous avons avecques l'ayde de dieu conquesté tout le pays des Dipsodes, je te donne la chatellenie de Salmigondin. Grand mercy (dis je) monsieur, vous me faictes du bien plus que n'ay deservy envers vous.

Real    Hypothetical    Fictional    Mythical   
Region, area    Town, village    Building    Water (lakes, rivers, etc.)    mountains, islands, ...    Other