Comment le Moyne se deffist de ses guardes, et comment l'escarmouche de Picrochole feut deffaicte. Chap. xliiij.

Le Moyne les voyant ainsi departir en desordre, conjectura qu'ilz alloient charger sus Gargantua et ses gens, et se contristoit merveilleusement

Page [120v]
de ce qu'il ne les povoit secourir. Puis advisa la contenence de ses deux archiers de guarde, lesquelz eussent voluntiers couru apres la troupe pour y butiner quelque chose et tousjours regardoient vers la vallee en laquelle ilz descendoient. Dadvantaige syllogisoit disant, ces gens icy sont bien mal exercez en faictz d'armes. Car oncques ne me ont demande ma foy, et ne me ont ouste mon braquemart.

Soubdain apres tyra son dict braquemart, et en ferut l'archier qui le tenoit a dextre luy coupant entierement les venes jugulaires, et arteres spagitides du col, avecques le guarguareon, jusques es deux adenes: et retirant le coup luy entreouvrit le mouelle spinale entre la seconde et tierce vertebre, la tomba l'archier tout mort. Et le moyne detournant son cheval a gauche courut sus l'aultre, lequel voyant son compaignon mort et le moyne adventaige sus soy cryoit a haulte voix. Ha monsieur le

Page Fu.121.
priour je me rendz, monsieur le priour mon bon amy, monsieur le priour. Et le moyne cryoit de mesmes. Monsieur le posteriour mon amy, monsieur le posteriour, vous aurez sus voz pesteres.

Ha (disoit l'archier) monsieur le priour mon mignon, monsieur le priour, que dieu vous face abbe. Par l'habit (disoit le moyne) que je porte je vous feray icy cardinal, Renczonnez vous les gens de religion? Vous aurez un chapeau rouge a ceste heure de ma main. Et l'archier cryoit, Monsieur le priour, monsieur le priour, monsieur l'abbe futeur, monsieur le cardinal, monsieur le tout. Ha, ha, hes, non Monsieur le priour, mon bon petit seigneur le priour je me rends a vous. Et je te rends (dist le moyne) a tous les diables. Lors d'un coup luy tranchit la teste, luy coupant le test sus les os petrux et en levant les deux os bregmatis et la commissure sagittale, avecques grande partie de l'os coronal, ce que faisant luy tranchit les deux meninges

Page [121v]
et ouvrit profondement les deux posterieurs ventricules du cerveau et demoura le craine pendent sus les espaules a la peau du pericarane par derriere, en forme d'un bonnet doctoral, noir par dessus, rouge par dedans. Ainsi tomba roidde mort en terre. Ce faict, le Moyne donne des esperons a son cheval et poursuyt la voye que tenoient les ennemys, lesquelz avoient rencontre Gargantua et ses compaignons au grand chemin, et tant estoient diminuez au nombre pour l'enorme meutre que y avoit faict Gargantua avecques son grand arbre, Gymnaste, Ponocrates, Eudemon, et les aultres, qu'ilz commencoient soy retirer a diligence, tous effrayez et perturbez de sens et entendement comme s'ilz veissent la propre espece et forme de mort davant leurs yeulx.

Et comme vous voyez un asne quand il a au cul un oestre Junonicque, ou une mouche qui le poinct, courir ca et la sans voye ny chemin gettant sa charge

Page Fu.122.
par terre, rompant son frain et renes, sans aulcunement respirer ny prandre repos, et ne scayt on qui le meut, car l'on ne veoit rien qui le touche. Ainsi fuyoient ces gens de sens desprouveuz, sans scavoir cause de fuyr tant seulement les poursuit une terreur Panice laquelle avoient conceue en leurs ames. Voyant le moyne que toute leur pensee n'estoit si non a guaigner au pied, descend de son cheval, et monte sus une grosse roche qui estoit sus le chemin, et avecques son grand braquemart, frappoit sus ces fuyars a grand tour de bras sans se faindre ny espargner. Tant en tua et mist par terre, que son braquemart rompit en deux pieces. Adoncques pensa en soy mesmes que c'estoit assez massacre et tue, et que le reste debvoit eschapper pour en porter les nouvelles. Pourtant saisit en son poing une hasche de ceulx qui la gisoient mors, et se retourna de rechief sus la roche, passant temps a veoir fouyr les ennemys, et cullebuter
Page [122v]
entre les corps mors, excepte que a tous faisoit laisser leurs picques, espees, lances et hacquebutes et ceulx qui portoient les pelerins liez, il les mettoit a pied et delivroit leurs chevaulx au dictz pelerins, les retenent avecques soy l'oree de la haye. Et Toucquedillon, lequel il retint prisonnier.

Real    Hypothetical    Fictional    Mythical   
Region, area    Town, village    Building    Water (lakes, rivers, etc.)    mountains, islands, ...    Other