La harangue faite par Gallet à Picrochole. Chapitre 31

Plus juste cause de douleur naître ne peut entre les humains, que si, du lieu dont par droiture espéraient grâce et bénévolence, ils, recevant ennui et dommage —et non sans cause (combien que sans raison)— plusieurs >venus en tel accident, ont cette indignité moins estimé tolérable que leur vie propre, et, en cas que par force ni autre

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engin ne l'ont pu corriger, se sont eux-mêmes privés de cette lumière.

Donc, merveille n'est si le roi Grandgousier mon maître est à ta furieuse et hostile venue saisi de grand déplaisir et perturbé en son entendement. Merveille serait si ne l'avaient ému les excès incomparables qui en ses terres et sujets ont été par toi et tes gens commis, èsquels n'a été omis exemple aucun d'inhumanité. Ce que lui est tant grief de soi, par la cordiale affection de laquelle toujours a chéri ses sujets qu'à mortel homme plus être ne saurait, toutefois sur l'estimation humaine plus grief lui est, en tant que par toi et les tiens ont été ces griefs et torts faits.

Qui de toute mémoire et ancienneté aviez, toi et tes pères, une amitié avec lui et tous ses ancêtres conçu, laquelle jusqu'à présent comme sacrée, ensemble aviez inviolablement maintenue, gardée et entretenue, si bien que non lui seulement ni les siens, mais les nations

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barbares, Poitevins, Bretons, Manceaux, et ceux qui habitent outre les îles de Canarreîles de CanarreCanarre et Isabela, ont estimé aussi facile démolir le firmament et les abîmes ériger au-dessus des nues, que désemparer votre alliance : et tant l'ont redoutée en leurs entreprises que n'ont jamais osé provoquer, irriter ni endommager l'un, par crainte de l'autre.

Plus y a : cette sacrée amitié tant a empli ce ciel que peu de gens sont au jourd'hui habitants par tout le continent et îles de l'Océan, qui n'aient ambitieusement aspiré être reçus en icelle, à pactes par vous même conditionnés : autant estimant votre confédération que leurs propres terres et domaines. En sorte que de toute mémoire n'a été prince ni ligue tant efferée ou superbe qui ait osé courir sur, je ne dis point vos terres, mais celles de vos confédérés. Et si par conseil précipité ont encontre eux attenté quelque cas de

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nouvelleté, le nom et titre de votre alliance entendu, ont soudain désisté de leurs entreprises. Quelle furie donc t'émeut maintenant, toute alliance brisée, toute amitié conculquée, tout droit trépassé, envahir hostilement ses terres, sans en rien avoir été par lui ni les siens endommagé, irrité ni provoqué ? Où est foi ? Où est loi ? Où est raison ? Où est humanité ? Où est crainte de Dieu ? Cuides-tu ces outrages être recelés ès esprits éternels, et au Dieu souverain, qui est juste rétributeur de nos entreprises ? Si le cuides, tu te trompes, car toutes choses viendront à son jugement. Sont-ce fatales destinées ou influences des astres qui veulent mettre fin à tes aises et repos ? Ainsi ont toutes choses leur fin et période. Et quand elles sont venues à leur point superlatif, elles sont en bas ruines, car elles ne peuvent longtemps en tel état demeurer. C'est la fin de ceux qui leurs fortunes et prospérités ne peuvent
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par raison et tempérance modérer.

Mais si ainsi était fée, et dût ores ton heur et repos prendre fin, faillait-il que ce fût en incommodant à mon roi celui par lequel tu étais établi ? Si ta maison devait ruiner, faillait-il qu'en sa ruine elle tombât sur les âtres de celui qui l'avait ornée ? La chose est tant hors les mètes de raison, tant abhorrante de sens commun, qu'à peine peut-elle être par humain entendement conçue, et jusqu'à ce, demeurera non croyable entre les étrangers, que l'effet assuré et témoigné leur donne à entendre que rien n'est ni saint, ni sacré à ceux qui se sont émancipes de Dieu et raison pour suivre leurs affections perverses.

Si quelque tort eût été par nous fait en tes sujets et domaines, si par nous eût été porté faveur à tes mal voulus, si en tes affaires ne t'eussions secouru, si par nous ton nom et honneur eût été blessé (ou pour mieux dire, si l'esprit calomniateur tentant à mal te tirer

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eût par fallaces espèces et phantasmes ludificatoires mis en ton entendement) qu'envers toi eussions fait chose non digne de notre ancienne amitié, tu devais premier enquérir de la vérité, puis nous en admonester. Et nous eussions tant à ton gré satisfait qu'eusse eu occasion de toi contenter. Mais (ô Dieu éternel) quelle est ton entreprise ?

Voudrais-tu comme tyran perfide piller ainsi et dissiper le royaume de mon maître ? L'as-tu éprouvé tant ignave et stupide, qu'il ne voulût —ou tant destitué de gens, d'argent, de conseil et d'art militaire—, qu'il ne pût résister à tes iniques assauts ? Dépars d'ici présentement, et demain pour tout le jour sois retiré en tes terres, sans par le chemin faire aucun tumulte ni force. Et paie mille besants d'or pour les dommages qu'as fait en ces terres. La moitié bailleras demain, l'autre moitié paieras ès ides de mai prochainement venant, nous délaissant

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cependant pour otage les ducs de Tournemoule, de Basdefesses et de Menuail, ensemble le prince de Gratelles et le vicomte de Morpiaille.

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