Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans La Roche-Clermault et défit l'armée dudit Picrochole. Chapitre 48

Gargantua eut la charge totale de l'armée, son père demeura en son fort. Et leur donnant courage par bonnes paroles, promit grands dons à ceux qui feraient quelques prouesses. Puis gagnèrent le Gué de Vède, et par bateaux et ponts légèrement faits passèrent outre d'une traite. Puis considérant l'assiette de la ville qu'était en lieu haut et avantageux, délibéra celle nuit sur ce qu'était de faire. Mais Gymnaste lui dit : « Seigneur, telle est la nature et complexion des Français, qu'ils ne valent qu'à la première pointe. Lors ils sont pires que diables. Mais

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s'ils séjournent ils sont moins que femmes. Je suis d'avis qu'à l'heure présente, après que vos gens auront quelque peu respiré et repu, fassiez donner l'assaut ». L'avis fut trouvé bon. Adonc produit toute son armée en plein camp, mettant les susdites du côté de la montée. Le moine prit avec lui six enseignes de gens de pied, et deux cents hommes d'armes, et en grande diligence traversa les marais et gagna au-dessus le puy jusque au grand chemin de Loudun. Cependant l'assaut continuait, les gens de Picrochole ne savaient si le meilleur était sortir hors et les recevoir, ou bien garder la ville sans bouger. Mais furieusement sortit avec quelque bande d'hommes d'armes de sa maison : et là fut reçu et festoyé à grands coups de canon qui grêlaient devers les coteaux, dont les gargantuistes se retirèrent au val, pour mieux donner lieu à l'artillerie. Ceux de la ville défendaient
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le mieux que pouvaient, mais les traits passaient outre par-dessus sans nul férir. Aucuns de la bande, sauvés de l'artillerie, donnèrent fièrement sur nos gens, mais peu profitèrent, car tous furent reçus entre les ordres, et là rués par terre. Ce que voyant, se voulaient retirer, mais cependant le moine avait occupé le passage. Par quoi se mirent en fuite sans ordre ni maintien. Aucuns voulaient leur donner la chasse, mais le moine les retint, craignant que suivant les fuyants perdissent leurs rangs, et que sur ce point ceux de la ville chargeassent sur eux. Puis attendant quelque espace, et nul ne comparant à l'encontre, envoya le duc Phrontiste pour admonester Gargantua à ce qu'il avançât pour gagner le coteau à la gauche pour empêcher la retraite de Picrochole par celle porte. Ce que fit Gargantua en toute diligence, et y envoya quatre légions de la compagnie de Sébaste, mais si tôt ne purent gagner
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le haut qu'ils ne rencontrassent en barbe Picrochole et ceux qui avec lui s'étaient épars. Lors chargèrent sus raidement, toutefois grandement furent endommagés par ceux qui étaient sur les murs en coups de trait et artillerie. Quoi voyant, Gargantua en grande puissance alla les secourir, et commença son artillerie à heurter sur ce quartier de murailles, tant que toute la force de la ville y fut révoquée. Le moine, voyant celui côté lequel il tenait assiégé, dénué de gens et gardes, magnanimement tira vers le fort et tant fit qu'il monta sur lui et aucuns de ses gens, pensant que plus de crainte et de frayeur donnent ceux qui surviennent à un conflit que ceux qui lors à leur force combattent. Toutefois ne fit onques effroi, jusqu'à ce que tous les siens eussent gagné la muraille, excepté les deux cent hommes d'armes qu'il laissa hors pour les hasards. Puis s'écria horriblement et
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les siens ensemble, et sans résistance tuèrent les gardes d'icelle porte, et là ouvrirent hommes d'armes et en toute fierté coururent ensemble vers la porte de l'Orient, où était le désarroi. Et par derrière renversèrent toute leur force. Voyant les assiégés de tous côtés et les Gargantuistes avoir gagné la ville, se rendirent au moine à merci. Le moine leur fit rendre les bâtons et armes et tous retirer et resserrer par les églises, saisissant tous les bâtons des croix et commettant gens ès portes pour les garder d'issir. Puis, ouvrant celle porte orientale, sortit au secours de Gargantua. Mais Picrochole pensait que le secours lui venait de la ville et par outrecuidance se hasarda plus que devant, jusqu'à ce que Gargantua s'écriât : «  Frère Jean, mon ami, frère Jean, en bon heure soyez venu ». Adonc connaissant Picrochole et ses gens que tout était désespéré, prirent la fuite en tous endroits. Gargantua
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les poursuivit jusque près Vaugaudry, tuant et massacrant, puis sonna la retraite.

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