Comment le Moyne feut festoye par Gargantua, et des beaulx propos qu'il tient en souppant. Chapitre. xxxix.

Quand Gargantua feut a table et la premiere poincte des morceaux feut baufree, Grandgousier commenca raconter la source et la cause de la guerre meue entre luy et Picrochole, et vint au poinct de narrer

Page [107v]
comment frere Jean des entommeurs avoit triumphe a la defence du clous de l'abbaye, et le loua au dessus des prouesses de Camille, Scipion, Pompee, Cesar, et Themistocles. Adoncques requist Gargantua que sus l'heure feust envoye querir, affin qu'avecques luy on consultast de ce qu'estoit a faire. Par leur vouloir l'alla querir son maistre d'hostel et l'admena joyeusement avecques son baston de croix sus la mulle de Grandgousier. Quand il feut venu, mille charesses, mille embrassemens, mil le bons jours feurent donnez. Hes frere Jan mon amy. Frere Jan mon grand cousin, frere Jan de par le diable. L'acollee, mon amy. A moy la brassee. Cza couillon que je te estrene de force de t'acoller? Et frere Jan de rigoller jamais homme ne feut tant courtoys ny gracieux. Cza, cza, dist Gargantua, une escabelle icy aupres de moy, a ce bout. Je le veulx bien (dist le Moyne) puis qu'ainsi vous plaist. Page de
Page Fu, 108.
l'eau: boute mon enfant boute elle me refraischira le faye, Baille icy que je guargarize. Deposita cappa. dist Gymnaste, oustons ce froc. Ho par dieu (dist le Moyne) mon gentil homme il y a un chapitre in statutis ordinis: auquel ne plairoit le cas. Bren (dist Gymnaste) bren, pour vostre chapitre. Ce froc vous romp les deux espaules. Mettez bas. Mon amy (dist le moyne) laisse le moy car par dieu je n'en boy que mieulx. Il me faict le corps tout joyeux. Si je le laisse, messieurs les pages en feront des jarretieres: comme il me feut faict une foys a Coulaines. Davantaige je n'auray nul appetit. Mais si en cest habit je m'assys a table, je boiray par dieu et a toy, et a ton cheval, Et de hayt. Dieu guard de mal la compaignie. Je avoys souppe. Mais pource ne mangeray je poinct moins. Car j'ay un estomac pave, creux comme la botte sainct Benoist, tousjours ouvert comme la gibbessiere d'un advocat. De tous poissons fors
Page [108v]
que la tanche, prenez l'aesle de la Perdrys, ou la cuisse d'une Nonnain, n'est ce falotement mourir quand on meurt le caiche roidde? Nostre prieur ayme fort le blanc de chappon. En cela (dist Gymnaste) il ne semble poinct aux renars: car des chappons, poules, pouletz qu'ilz prenent jamais ne mangent le blanc. Pourquoy? (dist le moine) par ce (respondit Gymnaste) qu'ilz n'ont poinct de cuisiniers a les cuyre. Et s'ilz ne sont competentement cuitz il demeurent rouge et non blanc. La rougeur des viandes est indice qu'elles ne sont assez cuytes. Exceptez les gammares et escrivices que l'on cardinalize a la cuyte. Feste Dieu bayart, dist le moyne, l'enfermier de nostre abbaye n'a doncques la teste bien cuyte, car il a les yeulx rouges comme un jadeau de vergne. Ceste cuisse deLevrault est bonne pour les goutteux.

A propos truelle, pourquoy est ce que les cuisses d'une damoizelle sont tousjours fraisches? Ce problesme (dist Gargantua)

Page Fu.109.
n'est ny en Aristoteles ny en Alexandre Aphrodise : ny en Plutarque.

C'est (dist le Moyne) Pour trois causes: par lesquelles un lieu est naturellement refraischy. Primo: pour ce que l'eau decourt tout du long. Secundo, pour ce que c'est un lieu umbrageux, obscur, et tenebreux, auquel jamais le Soleil ve luist. Et tiercement pour ce qu'il est continuellement esvente des ventz du trou, de bize, de chemise, et d'abondant de la braguette. Et dehayt. Page a la humerie. Crac, crac, crac, Que dieu est bon, qui nous donne ce bon piot. J'advoue dieu, si j'eusse este au temps de Jesuchrist, j'eusse bien engarde que les juifz ne l'eussent prins au jardin de Olivet. Ensemble le diable me faille: si j'eusse failly de coupper les jarretz a messieurs les Apostres qui fuyrent tant laschement apres qu'ilz eurent bien souppe, et laisserent leur bon maistre au besoing. Je hayz plus que poizon un homme qui fuyt quand il fault

Page [109v]
jouer de cousteaux. Hon que je ne suis roy de France pour quatre vingtz ou cent ans. Par dieu je vous metroys en chien courtault les fuyars de Pavye. Leur fiebvre quartaine. Pourquoy ne mouroient ilz la plus tost que laisser leur bon prince en ceste necessite? N'est il meilleur et plus honorable mourrir vertueusement bataillant, que vivre fuyant villainement? Nous ne mangerons gueres d'oysons ceste annee. Ha mon amy, baille de ce cochon. Diavol. il n'y a plus de moust. Germinavit radix Jesse . Je renye ma vie je meurs de soif. Ce vin n'est de pires. Quel vin beuviez vous a Paris ? Je me donne au diable, si je n'y tins plus de six moys pour un temps maison ouverte a tous venens. Congnoissez vous frere Claude des haulx Barroisfrere Claude des haulx Barroishaulx Barrois ? O le bon compaignon que c'est. Mais quelle mousche l'a picqué? Il ne faict rien que estudier de puis je ne scay quand. Je n'estudie poinct de ma part. En nostre abbaye
Page Fu.110.
nous ne estudions jamais, de peur des auripeaux. Nostre feu abbé disoit que c'est chose monstrueuse veoir un moy ne scavant. Par dieu monsieur mon amy magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes. Vous ne veistes oncques tant de lievres comme il y en a ceste annee. Je n'ay peu recouvrir ny Aultour, ny tiercelet de lieu du monde. Monsieur de la BellonniereMonsieur de la Bellonnierela Bellonniere m'avoit promis un Lanier, mais il m'escripvit n'a gueres qu'il estoit devenu patays. Les perdris nous mangeront les aureilles mesouan. Je ne prens poinct de plaisir a la tonnelle. Car je y morfonds. Si je ne cours, si je ne tracasse, je ne suis poinct a mon aize. Vray est que saultant les hayes et buissons, mon froc y laisse du poil. J'ay recouver un gentil levrier. Je donne au diable si luy eschappe lievre. Un lacquays le menoit a monsieur de Maulevriermonsieur de MaulevrierMaulevrier : je le destroussay: feis je mal? Nenny frere Jean (dist Gymnaste) nenny de par
Page [110v]
tous les diables nenny. Ainsi dist le moyne a ces diables: ce pendent qu'ilz durent. Vertus dieu qu'en eust faict ce boyteux? Le cor dieu il prent plus de plaisir quand on luy faict present d'un bon couble de beufz. Comment (dist Ponocrates) vous jurez frere Jean ?

Ce n'est (dist le moyne) que pour orner mon langaige. Ce sont couleurs de rethorique Ciceroniane.

Réel    Hypothétique    Fictif    Mythique   
Région, contrée    Ville, village    Bâtiment    Étendue, cours d'eau    Montagne, île, ...    Autre