Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec. Chapitre. iij.

Quand Pantagruel fut né qui fut bien esbahy et perplex ce fut Gargantua son pere, car voyant d'un cousté sa femme Badebec morte, et

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de l'aultre son filz Pantagruel né, tant beau et tant grand, ne scavoit que dire ny que faire. Et le doubte qui troubloit son entendement estoit, assavoir s'il devoit plorer pour le dueil de sa femme, ou rire pour la joye de son filz? D'un costé et d'aultre il avoit argumens sophisticques qui le suffocquoyent, car il les faisoit tresbien in modo et figura, mais il ne les povoit souldre. Et par ce moyen demouroit empestre comme la souriz empeigee, ou un Milan prins au lasset. Pleureray je, disoit il? ouy: car pourquoy? Ma tant bonne femme est morte, qui estoit la plus cecy la plus cela qui feust au monde. Jamais je ne la verray, jamais je n'en recouvreray une telle: ce m'est une perte inestimable. O mon dieu, que te avoys je faict pour ainsi me punir? Que ne envoyas tu la mort a moy premier que a elle? car vivre sans elle ne m'est que languir. Ha Badebec, ma mignonne, mamye, mon petit con (toutesfois elle en avoit bien troys arpens
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et deux sexterees) ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantofle jamais je ne te verray. Ha pauvre Pantagruel tu as perdu ta bonne mere, ta doulce nourrisse, ta dame tresaymee. Ha faulce mort tant tu me es malivole, tant tu me es oultrageuse de me tollir celle a laquelle immortalite appartenoit de droict.

Et ce disant pleuroit comme une vache, mais tout soubdain rioit comme un veau, quand Pantagruel luy venoit en memoire.Ho mon petit filz (disoit il) mon coillon, mon peton, que tu es joly, et tant je suis tenu a dieu de ce qu'il m'a donne un si beau filz tant joyeux, tant riant, tant joly. Ho, ho, ho, ho, que suis ayse, beuvons ho, laissons toute melancholie, apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme ceste porte, taille ces souppes, envoye ces pauvres, baille leur ce qu'ilz deman dent tiens ma robbe, que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer les commeres.

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Ce disant ouyt la letanie et les mementos des prebstres qui portoyent sa femme en terre, dont laissa son bon propos et tout soubdain fut ravy ailleurs, disant, Seigneur dieu fault il que je me contriste encores? cela me fasche, je ne suis plus jeune, je deviens vieulx le temps est dangereux, je pourray prendre quelque fiebvre, me voyla affolé. Foy de gentil homme il vault mieulx pleurer moins et boire d'advantaige. Ma femme est morte, et bien: par dieu (da jurandi) je ne la resusciteray pas par mes pleurs, elle est bien, elle est en paradis pour le moins si mieulx ne est: elle prie dieu pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos miseres et calamitez, autant nous en pend a l'oeil, dieu gard le demourant, il me fault penser d'en trouver une aultre. Mais voicy que vous ferez, dict il es saiges femmes (ou sont elles bonnes gens, je ne vous peulx veoyr) allez a l'enterrement d'elle, et ce pendent je berceray icy mon
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filz, car je me sens bien fort altere, et serois en danger de tomber malade, mais beuvez quelque bon traict devant: car vous vous en trouverez bien et m'en croyez sur mon honneur. A quoy obtemperantz allerent a l'enterrement et funerailles, et le pauvre Gargantua demoura a l'hostel. Et ce pendent feist l'epitaphe pour estre engravé en la maniere que s'ensuyt.



Elle en mourut la noble Badebec
Du mal d'enfant, que tant me sembloit nice:
Car elle avoit visaige de rebec,
Corps d'espaignole, et ventre de Souyce
Priez a dieu, qu'a elle soit propice,
Luy perdonnant sans rien oultrepassa:
Cy gist son corps lequel vesquit sans vice,
Et mourut l'an et jour que trespassa.
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